Regards #88 « Grâce à Dieu » et « Le mystère Henri Pick »

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Dans Regards, retrouvez l’avis de Stéphanie Joye sur quelques films à l’affiche dans les cinémas tourangeaux. Histoire de vous donner envie, à votre tour, d’aller passer un moment dans les salles obscures.


Grâce à Dieu (Drame français)

De François Ozon

Avec Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud 

Grand Prix du Jury (Ours d’argent) au Festival de Berlin

D’après des faits réels – et l’actualité

A 40 ans, Alexandre Guérin a un passé lourd : celui de son enfance. Une enfance durant laquelle il a été abusé plusieurs années par le Père Preynat, prêtre responsable du camp de scoutisme. Soutenu par sa femme et ses deux fils, il décide aujourd’hui de lever le voile en passant aux aveux. Dans sa démarche courageuse et obstinée, il se bat en connaissance de cause, car il sait que le prêtre en question est toujours en fonction, auprès d’enfants. Emmanuel et François, eux aussi, ont été abusés étant petits par ce même homme. Sur les pas d’Alexandre, ils se liguent pour faire entendre leur voix. Et pour dénoncer clairement le responsable d’avoir caché l’affaire : le Cardinal Barbarin.

Avec un tel sujet, François Ozon risquait de tendre vers le film qui offusque en brassant de l’air. Mais c’est là tout le talent du réalisateur : Grâce à Dieu est d’une étonnante douceur, et, contre toute attente, il ne fait pas le procès de l’Eglise. Ozon respecte la croyance. Ce dont il traite, c’est de la pédophilie dans l’Église. De l’immiscion du Mal – que l’on ne chasse pas – dans la maison de Dieu. Et des portraits d’hommes ayant été abusés, en quête de résilience après des décennies de refoulement. S’il ne dénonce donc pas l’institution, le film se focalise plutôt sur l’actualité de son propos, en incriminant les deux hommes directement concernés par les accusations de pédophilie. Il s’agit du Père Preynat, prêtre lyonnais aujourd’hui âgé de 72 ans, et du Cardinal Philippe Babarin (qui a été jugé à l’heure actuelle). Le premier est l’auteur des nombreux actes d’abus sexuels sur mineurs de moins de 15 ans, dans les années 1980 et 1990. Le second l’a couvert, toute sa vie durant. Grâce à Dieu enquête autour de cette histoire vraie, cette affaire qui défraye la chronique tant politiquement que socialement. Il était nécessaire de soulever ce sujet tabou. La Parole Libérée – association lyonnaise de victimes d’abus sexuels – a ouvert la voie face à une Eglise muette sur le sujet.

Dans cette histoire, François Ozon a choisi de mettre en scène trois hommes victimes de Preynat, incarnés par trois acteurs stupéfiants. A commencer par Melvil Poupaud – qu’Ozon avait déjà fait tourner dans Le temps qui reste en 2005. L’acteur joue Alexandre, le bourgeois catholique qui amorce les « offensives ». Durant la première partie du film, en voix off, il relate beaucoup les faits, ses décisions, ses pensées, ses correspondances écrites avec la psychologue et médiatrice de l’Eglise. Sa présence sobre et charismatique, et ses propos au ton monocorde sont captivants. Il est à la fois tout en intériorité, obscurité, espoir, énigme et transparence … Enclin à la libération permettant de se reconstruire, le voilà porte-parole grâce à sa propre histoire remontée. Au départ seul, très courageux d’affronter ce lourd dossier, Alexandre est ensuite rejoint par deux autres hommes aux chemins très différents : Emmanuel Thomassin et François Debord. C’est Swann Arlaud (César du meilleur acteur dans Petit Paysan en 2017) qui campe Emmanuel. Contenance émotionnelle, démonstration de ses fêlures et explosion de sa douleur : ce qu’il apporte à son personnage est ahurissant. Denis Ménochet (nommé au César du meilleur acteur cette année dans Jusqu’à la garde de Xavier Legrand) interprète quant à lui François. Sûr de lui, affirmant être passé au-dessus de son passé tragique, il se montre bourru et peu coopératif. Jusqu’à, en définitive, se retrouver être le chef de file de l’association des victimes La parole libérée, qu’il crée avec ses nouveaux amis, solidaires (ensemble, ils y réunissent encore d’autres victimes de Preynat).

Alexandre, Emmanuel et François ont en commun le traumatisme vécu dans leur enfance. Mais les répercussions qu’ils connaissent dans leur quotidien d’adultes sont bien différentes. Si Alexandre semble en apparence avoir tout réussi (vie de famille unie, croyante pratiquante, bel appartement, belle réussite sociale et professionnelle), François vit à l’étroit, tout seul, et revendique son athéisme – tout en respectant les croyants. Emmanuel, plus jeune, perturbé, a une vie de couple très tumultueuse et souffre d’une atrophie liée à ce qu’il a subi étant petit. Il se réfugie régulièrement chez sa mère (très juste et touchante Josiane Balasko), qui ne voulait pas voir, qui est passé à côté … mais qui, aujourd’hui enfin, est là pour l’écouter. C’est également un point important abordé dans le film. Les parents des victimes de pédophilie. Il y a ceux qui veulent que justice soit faite, et ceux qui (comme les parents d’Alexandre), ne veulent pas voir, même une fois leur enfant devenu adulte. Alexandre parle à sa mère de sa volonté de tout dire. Celle-ci se relève brusquement du canapé et lance : « tu as toujours su remuer la merde ».

Dans ce film au masculin, on ressent à la fois les fragilités et la force unificatrice, la solidarité dans le combat contre les crimes pédophiles au sein de l’Eglise. Cette Eglise pour laquelle les édifices sont si majestueux, si solides, justement évidés pour laisser entrer la lumière (divine…). Mais une Eglise dont le système – interne, faillible et très opaque – n’égale pas à proprement parler la structure –externe. Une Eglise dont l’organisation ne fait plus pénétrer seulement la lumière mais aussi l’obscurité de l’être à qui elle conserve sa place. Si des hommes de Foi font le mal et régissent entre eux leur petite justice, peut-on parler de diabolisme, ou bien d’aveuglement, réel ?

Très documenté, Grâce à dieu est plus émouvant que rageur. La finesse de son écriture, sa narration brillante et son interprétation sont exceptionnelles. C’est une œuvre engagée, puissante, bouleversante.

(NB : Jeudi 7 mars 2019 : après avoir été condamné à six mois de prison avec sursis à Lyon pour non-dénonciation d’actes pédophiles, le Cardinal Barbarin a annoncé qu’il remettait sa démission au Pape).

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet) et aussi dans les cinémas CGR de l’agglomération (toutes les informations utiles sur leur site internet).


Le mystère Henri Pick (Comédie française)

De Rémi Bezançon

Avec Fabrice Luchini, Camille Cottin, Alice Isaaz, Bastien Bouillon

Adaptation libre du livre éponyme de David Foenkinos (éditions Gallimard)

Scénario de Rémi Bezançon et Vanessa Portal

A la télévision, l’animateur et grand critique littéraire Jean-Michel Rouche tient entre ses mains un nouveau roman, intitulé Les dernières heures d’une histoire d’amour. Extraordinaire, tout juste publié, ce dernier connait déjà un succès impressionnant. Très intrigué, l’homme cherche à en découvrir l’auteur, totalement inconnu. L’ouvrage a été déniché par son éditrice dans une « bibliothèque des refusés » à Crozon, en Bretagne. L’écrivain est un certain Henri Pick, décédé il y a deux ans. Seulement, ce monsieur Pick, pizzaïolo de profession, n’avait jamais rien rédigé, ni, peut-être, lu de sa vie. Alors, s’agirait-il d’une imposture ? Jean-Michel Rouche va mener une enquête, obsessionnelle. Il commence par aller à la rencontre de Madeleine, la veuve de Pick, ainsi que de Joséphine, sa fille qu’il ne va plus lâcher. Car, qu’importe ses réticences et son courroux, Joséphine doit l’aider à soulever le mystère Henri Pick …

Rémi Bezançon a conquis le cœur des français en 2008 avec son deuxième film – aux trois César – Le premier jour du reste de ta vie. Une chronique familiale tragicomique, magnifique, avec Jacques Gamblin, Zabou Breitman et Deborah François. Il y mettait en scène les rapports intergénérationnels au cœur d’une famille très touchante et moderne. On décode son goût pour l’introspection des êtres dans ses films. Mœurs et états d’âme sont toujours explorés avec une grande sensibilité, et beaucoup de légèreté et d’humour. La force du cinéaste est de se renouveler et de surprendre, d’arriver là où on ne l’attendait pas. Ainsi, il a opéré un tournant – en 2012 – avec son film d’animation pour enfants Zarafa, coréalisé avec Jean-Christophe Lie, et nommé aux César.

Aujourd’hui, un nouveau virage surprenant : il adapte librement au cinéma le livre de David Foenkinos, Le mystère Henri Pick. Une intrigue passionnante autour du monde de la littérature, qui unit un duo inédit : Camille Cottin (la « Connasse » de Canal +) et le truculent et toujours fascinant Fabrice Luchini. L’œuvre de Foenkinos fait environ 300 pages. Rémi Bezançon démarre son récit en s’inspirant surtout de la seconde moitié du livre, dans laquelle le personnage de Jean-Michel Rouche fait son apparition. Celui-ci devient donc tout de suite dans le film le personnage central. Un « Bernard Pivot/Sherlock Holmes », la soixantaine, critique littéraire passionné et pointu. Il est résolu à « rendre justice » à la véracité d’un récit brillant, à la noblesse de son – véritable – auteur, à mener un presque combat contre l’inacceptable falsification.

L’intrigue démarre avec la découverte de l’ouvrage, dans une « bibliothèque des livres refusés », en Bretagne. A noter que, en réalité, il en existe bel et bien une, créée en 1990, à Vancouver, par le Canadien Richard Brautigan. Nous sommes sur la petite presqu’île de Crozon dans le Finistère. Une jeune femme, Delphine Despero, éditrice parisienne, passe quelques jours de vacances chez ses parents en compagnie de son chéri, un écrivain qui peine à se faire un nom. Dans son élan de découvertes locales, elle se rend dans la petite bibliothèque bien particulière, toute proche. Une bibliothèque unique, où l’on découvre des romans recalés par les éditeurs. Des tas de livres, à disposition de tous. Une caverne d’Ali Baba pour tous les curieux du phrasé en tout genre. Beaucoup de mauvais textes, d’œuvres maladroites … Et puis, parmi ces amoncèlements de potentielles trouvailles, Delphine tombe sur Les dernières heures d’une histoire d’amour d’un certain Henri Pick. Avec ses références à la Russie de Pouchkine et son histoire véhiculant une passion douloureuse tenue secrète, le roman est fabuleux. Delphine l’édite aussitôt, et le livre devient un best-seller.

Delphine Despero (Alice Isaaz – Mademoiselle de Joncquières) a des allures glaciales de femme fatale imbue de sa personne. Jean-Michel Rouche, quant à lui, est un homme intègre convaincu que tout ceci n’est que supercherie. Leurs rapports vont être conflictuels puisque Rouche remet en doute cette découverte extraordinaire dont la jeunette se targue bien d’être à l’origine. Se joue alors une piste énigmatique tel un vrai polar – mais sans tueurs ni policiers ! – une enquête menée comme un Cluedo. Le mystère Henri Pick se vit comme un Agatha Christie à la française, légèreté de ton et humour en sus. Ce n’est pas : qui a tué ? Mais : qui a écrit ? Rouche/Luchini n’est pas un professionnel enquêteur. Mais son action menée nous tient captivés. La mise en scène est brillante. Le rythme est soutenu, fluide, sans temps mort. En même temps, on évolue dans une atmosphère tranquille et pleine de fraîcheur. Le choix du décor naturel est poétique et apaisant. La région sauvage des côtes bretonnes offre des tons bleutés, blancs et verdâtres qui rendent le film lumineux.

Cette aventure formidable nous évade. Originale, elle réjouit intelligemment, de façon ludique, inspirée, tendre et drôle. Elle nous tient en haleine grâce à un scénario retors et des dialogues percutants. Le duo Camille Cottin/Fabrice Luchini est complice et spontané. Camille Cottin trouve son premier vrai grand rôle, en se révélant tout en profondeur de jeu. Fabrice Luchini brille, dans la tempérance, sans perdre une once de son talent d’orateur et de sa sagacité. Le mystère Henri Pick offre un jeu de piste très malin et subtil, tout en humilité. C’est une très belle réussite, un très bon film.

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet) et aussi dans les cinémas CGR de l’agglomération (toutes les informations utiles sur leur site internet).

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