Regards #83 « La mule », « L’ordre des médecins » et « Continuer »

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Dans Regards, retrouvez l’avis de Stéphanie Joye sur quelques films à l’affiche dans les cinémas tourangeaux. Histoire de vous donner envie, à votre tour, d’aller passer un moment dans les salles obscures.


La mule (Drame américain)

De Clint Eastwood

Avec Clint Eastwood, Bradley Cooper, Laurence Fishburne, Alison Eastwood, Dianne Wiest, Andy Garcia

Inspiré d’une histoire vraie

Dédié à Sondra Locke, compagne de Clint Eastwood récemment décédée

Dans l’Illinois, un octogénaire est tellement consacré à sa passion – son métier d’horticulteur, qu’il en délaisse sa famille et ne prend toujours pas sa retraite. Mais son entreprise est mise en faillite, victime de la révolution de la vente par internet. Il se retrouve alors sur la paille et décide d’accepter une mission qu’on lui a proposée pour gagner une grosse somme d’argent au black. Il s’agit d’effectuer une longue route, entre le Texas et Chicago, avec son vieux pick-up Ford des années 70, pour livrer des paquets – qu’il n’a pas le droit d’ouvrir. Les dits-paquets contiennent d’énormes quantités de cocaïne, dont la livraison provient d’un réseau de mexicains avec qui il traite donc naïvement. Le vieux Earl Stone, surnommé désormais « Tata », effectue si bien son travail de « mule » qu’on lui confie des trajets répétés, mais toujours sous étroite surveillance d’un membre du cartel. Colin Bates, du service de police de contrôle des drogues, part à la traque de Earl avec son équipe.

Déjà cinquante ans de carrière pour le grand Clint. Et son 38ème film. Un polar mafieux teinté de road-movie existentiel à la tranquillité « pépère ». Drôle et sensible.  L’histoire d’un homme âgé, sur la route en solitaire, le coffre blindé de came. Le risque, le mal, mais le regain de liberté quand on perd tout (travail, famille). Earl respire à pleins poumons par la fenêtre de son pick-up, et chantonne des airs de western. A 88 ans, Clint Eastwood sait mieux que personne se mettre en scène dans son propre film, dont le scénario s’adapte ici parfaitement à ses conditions physiques plus limitées que du temps de Impitoyable ! Il s’amuse à se moquer de lui-même, de son âge, des rôles de warrior qu’il ne peut plus tenir … Du coup, il lui reste la possibilité de changer une roue de secours sur le bord de la route pour dépanner un jeune couple, sans omettre de lui dire : « ça fait plaisir de rendre service à des noirs », de même qu’il file un coup de main à un groupe de bikeuses et leur lance un « salut les gouines ! » … De la provoc très limite ! Revoilà ce ronchon malin, blagueur douteux, un tantinet tel que dans Gran Torino (précédent film dans lequel le réalisateur-acteur s’est mis en scène en 2008). Il se met sur la route et joue les mauvais sans le savoir. Earl a l’air de tout sauf d’un délinquant. C’est le pépé réac, un peu con avec son prochain mais bon au fond … ni vu ni connu ! Insoupçonnable ! Pour la police, ce n’est pas une mince affaire que de l’identifier et de le trouver … Earl n’a pas de camp et ne nuit à personne en soi. Sa naïveté et son âge pourraient lui donner des circonstances atténuantes. Pas de camp donc, mais un clan à reconquérir, celui de sa famille. Sauf qu’il comprendra cela un peu tard. Il y a son ex-épouse Mary, sa fille, Iris, et sa petite-fille, Ginny. Toutes les trois attendent de lui présence et amour. Leur lutte pour les obtenir est complexe. Earl n’est jamais là. Cette partie de l’histoire (seul élément fictionnel du film) est très personnelle pour le réalisateur, qui fait d’ailleurs tenir le rôle d’Iris par sa propre fille, Alison Eastwood. Remise de diplômes, mariages, maladie, tous ces évènements qui marquent la vie finiront par faire prendre conscience à Earl que « la famille, c’est ce qu’il y a de plus important : avant ton travail, et avant tout le reste ». C’est une esquisse pudique d’un portrait de famille empli de tendresse. Mais c’est surtout l’image que Clint Eastwood renvoie de lui-même qui nous touche. A son âge, il mesure subtilement que La mule s’approche de la fin de sa filmographie. Il nous offre son regard plissé, son front inquiet, sa peau affinée : tous ces cadeaux relevant de sa vieillesse, son visage tel un patrimoine cinématographique. Après … La mule n’est ni un chef-d’œuvre ni un de ses meilleurs films. Mais c’est un Eastwood.

Un film à l’affiche aux cinémas CGR (toutes les informations utiles sur leur site internet).


L’ordre des médecins (Drame français)

De David Roux

Avec Jérémie Renier, Marthe Keller, Zita Hanrot, Maud Wyler …

Festivals 2018: Festival de Locarno, Arras Film Festival, Festival International du Film de Saint-Jean-De-Luz

Simon est médecin pneumologue à l’hôpital. Déterminé, assez froid, il est totalement dévoué à son travail qui lui laisse peu de place pour sa vie privée. Vivant seul, il s’écroule souvent pour une courte nuit sur son canapé, et repart au boulot avec un professionnalisme hors pair. Il gère ses émotions face à la maladie et à la mort. Seulement, lorsque sa mère de 70 ans se retrouve prise en charge en cancérologie près de lui, et malgré sa capacité à tout contenir comme toujours, au fond de lui, tout s’ébranle.

Comment assurer ? Comment réagir ? Tout faire pour sauver des patients au quotidien, et se retrouver confronté à la maladie puis à la mort annoncée de sa propre mère : tel est le sujet de ce très beau premier film. Le réalisateur David Roux porte un regard sensible et humble sur la psychologie d’un médecin, avec une grande précision, dans le microcosme hospitalier où les professionnels de santé cotoient la maladie et la mort en permanence. Simon doit faire face à des situations difficiles au quotidien. On se sent d’emblée happés par une vérité évidente, comme si l’on évoluait dans un documentaire. La mise en scène est magnifiée par une esthétique superbe. Les éléments décoratifs naturellement présents à l’hôpital Bretonneau de Tours (lieu du tournage), sont rehaussés par le travail de la photo, admirable. Des trames, des aplats et des lumières d’un ton bleu roy, ainsi que les longs tuyaux et des néons du sous-sol nous guidant comme un vecteur communicant, dans un long corridor de décompression, souvent vide, que suit Simon, sont captivants. Le calme, la concentration et l’organisation règnent dans ce film. Pas de dialogues pompeux ou en excès. Des équipes de soin soudées. Parfois des heurts, inévitables au vu des situations de stress. Simon (Jérémie Rénier, absolument parfait), se montre parfois très dur avec ses collègues. Il n’est pas le seul. L’émotion doit être contrôlée, la rudesse est une arme de défense. Simon se joint néanmoins à son équipe pour faire un peu la fête avec elle : de – rares – moments un peu joyeux (boire et danser) sont nécessaires dans la salle de pause. De plus, il a toute l’attention et la douceur de la jeune interne Agathe (Zita Hanrot, très juste, et déjà remarquée dans Paul Sanchez est revenu !), qui travaille à ses côtés, et avec laquelle une belle histoire d’amour pourrait se profiler.

David Roux, fils de médecins chefs de service, s’inspire de son histoire personnelle, c’est-à-dire de son frère – lui-même pneumologue en soins intensifs à Paris – et de sa propre mère, décédée. Pour autant, son œuvre n’est pas vraiment autobiographique. Son écriture est précise. Le film défend la vie, le combat contre maladie, et ce, sans visée lacrymale. Le spectateur ne se sent pas manipulé par un scénario alambiqué. Entre réalité et fiction, L’ordre des médecins nous touche ; la maladie et la mort d’un proche nous concernent. La neutralité et la justesse évitent totalement le mélodrame, tout en créant une intimité familiale pudique bouleversante. L’excellente Marthe Keller, lumineuse, apporte sa grâce, tout en dignité et en simplicité, au rôle de la mère qui accepte sa fin de vie. Les ressentis de son fils sont petit à petit palpables. Lorsque Simon laisse enfin ses émotions s’exprimer, on est vivement touché (la scène de ses pleurs est belle et profondément réaliste, et son sentiment d’impuissance nous affecte fortement). Mais au final, ce témoignage humain et universel réussit à nous inonder de lumière.

(Filmographie : courts-métrages « Leur jeunesse » et « Répétitions »)

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet).


Continuer (Drame français, belge)

De Joachim Lafosse

Avec Virginie Efira, Kacey Mottet Klein

D’après le roman de Laurent Mauvignier, Continuer

Dans le Kirghizistan, Sybille traine de force Samuel, son fils de 20 ans, dans un très long périple à cheval. Ce voyage initiatique, rien qu’à deux, est à visée bienfaitrice pour leur relation houleuse. En effet, Samuel est enragé contre sa mère. Il lui reproche de ne pas l’avoir élevé et de l’avoir laissé grandir auprès de ses grands-parents, sans nouvelles d’elle. Sybille, quant à elle, ne supporte pas de le voir sombrer dans sa noirceur d’esprit, dans la violence et dans une vie inconsistante. Alors, face à face, en devant assumer leur rapprochement dans l’isolement le plus total, le duo va devoir affronter la dureté de leur avancée terrestre et de leur relation.

Joachim Lafosse est surprenant. Il effectue de grands bonds, de grands voyages filmiques, atterrissant là où on ne l’attend pas. Dans l’Economie du couple, film précis et touchant, Bérénice Bejo et Cédric Kahn, séparés, se déchirent en cohabitant toujours dans leur maison car ils n’ont pas d’autre solution. Dans Les chevaliers blancs, Vincent Lindon et Louise Bourgoin se battent avec leur ONG pour faire adopter en masse des enfants d’Afrique victimes de guerre. Avec Continuer, d’abord le réalisateur aborde des thématiques au fond habituelles : la douleur, toujours, le rapport à l’intime, le drame familial (comme dans L’économie du couple ou A perdre la raison), et il questionne la possibilité d’un retour à l’ordre entre les êtres, tout en faisant la quête de la paix en soi et de l’harmonie avec l’autre. Ici, nous sommes dans un presque huis clos, théâtralisé par l’unique décor, naturel, du désert tant merveilleux qu’hostile du Kirghizistan. La route est un fil en continu, une ligne sur laquelle doivent s’apposer des mots. Le cinéaste met en scène un duo mère-fils traversant à cheval – durant tout le film – le long parcours qui mène à leur possible entente, tant espérée par Sybille. Un grand chemin entouré de vide – comme celui de leur relation, sec comme le cœur de Samuel, étiré et semé d’embûches comme leur quête de rapprochement improbable, mais une aventure, leur aventure, à mener à bien coûte que coûte. Le duo d’acteurs est formidable. Kacey Mottet Klein a une propension à paraître écorché vif, mais doux au fond, en rébellion, mais intelligent, brusque et colérique, mais capable d’amour. Il a été nommé pour deux films au titre du César du Meilleur jeune espoir masculin : L’enfant d’en haut de Ursula Meier, et Quand on a 17 ans de André Téchiné. Un film dans lequel il incarne aussi un adolescent en colère face à sa mère (jouée par Sandrine Kiberlain), tout en tension, incompréhension et conflit. Dans Continuer, il est dans la peau d’un jeune homme torturé, avec une interprétation tout en maturité, entre fragilité et virilité qui s’affirme, et auprès d’une mère absolument déboussolée par son comportement agressif, qui contient ses pleurs et tient douloureusement le cap. Cette mère courage est incarnée par la brillantissime Virginie Efira, actrice implantée dans le cinéma français tel un pilier solide, au parcours vertigineux – surtout depuis son apparition dans Elle de Paul Verhoeven, et dont l’année cinématographique 2019 est résolument un peu la sienne (deux rôles qui l’ont distinguée, en lice pour les César à venir, dans Le grand bain et Un amour impossible). Joachim Lafosse a donc choisi deux grands interprètes, qui portent son histoire avec force. Son film est un western du cœur, contemporain, touchant et juste.

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet).

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