Que retenir du mouvement des Gilets Jaunes ?

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Il y a un an, à l’automne 2018, naissait le mouvement des Gilets Jaunes. A partir du 17 novembre, les Gilets Jaunes vont faire les gros titres de l’actualité, sur fond de colère populaire et de malaise social. Un an après l’émergence de cette contestation sociale d’un nouveau genre, que faut-il en retenir ?

Gilles Tétart est sociologue à l’Université de Tours, il animera une conférence le 21 novembre prochain sur le sujet. Pour ce dernier, le mouvement des Gilets Jaunes est unique et a surpris par sa spontanéité.

« Je me retrouvais pleinement dans ces revendications. »

Delphine, se remémore les prémices du mouvement des Gilets Jaunes, à l’automne 2018. « Sur Facebook, j’ai vu les premiers messages de personnes qui appelaient à se rassembler pour contester la hausse du carburant et plus généralement la hausse du coût de la vie, je me retrouvais pleinement dans ces revendications. »

« Je n’avais pas manifesté depuis des années » plaisante-t-elle aujourd’hui, en expliquant sa démarche d’alors « je vis en milieu rural et je suis aide-soignante à domicile, la hausse du carburant a été le déclencheur, parce que cela avait un vrai impact sur mon budget, car la voiture c’est plus qu’un outil pour moi, c’est indispensable. J’ai décidé un peu à la hâte de manifester le 16 novembre. » Le 17 novembre, Delphine fait ainsi partie des 1500 manifestants recensés en Touraine, elle contribue aux opérations escargots le matin avant de rejoindre le centre de Tours dans l’après-midi. « Il y avait une ambiance assez festive, je crois que cela a fait du bien à beaucoup de se rendre compte qu’on n’était pas seuls dans la galère. On a échangé entre Gilets Jaunes, sur nos problèmes du quotidien, les enfants, la difficulté à boucler les fins de mois… C’était vraiment une colère populaire, après la suite m’a moins convaincue et j’ai vite arrêté voyant les choses dégénérer. »

 « Ce serait intéressant d’analyser ce processus de démobilisation » évoque Gilles Tétart, « comprendre pourquoi les Gilets Jaunes se sont retirés et pourquoi le mouvement s’est reconcentré sur ses éléments les plus radicaux. » Un mouvement qui reste à étudier et à comprendre dans son ensemble, mais sur lequel on manque encore de recul nous raconte le sociologue.

« Les Gilets Jaunes sont l’expression de l’invisibilité de la précarisation de la société depuis la fin des 30 glorieuses. »

En s’éloignant de l’approche du grand récit historique faisant le parallèle avec les sans-culottes, la fronde et autres révoltes populaires historiques, Gilles Tétart évoque de son côté un mouvement hétérogène, qu’il faudrait appréhender à plus fine échelle. « Si on analysait chaque rond-point, on retrouverait des situations différentes, ce mouvement est difficile à généraliser, il faudrait aller sur des analyses territoriales précises » explique-t-il.

Malgré tout, Gilles Tétart évoque des points marquants dans le mouvement des Gilets Jaunes comme la composition populaire du mouvement en termes de CSP, mais aussi la forte visibilité des femmes. « Au-delà de la question du pouvoir d’achat qui a été l’élément déclencheur, il y a un fort sentiment de déclassement social. C’est ce qu’on appelle en sociologie la désaffiliation et cela n’a pas été compris par Emmanuel Macron. »

Au sujet de ce dernier de la classe politique en général, largement rejetée et conspuée par les Gilets Jaunes, Gilles Tétart évoque un problème de mépris de classe. « Les Gilets Jaunes sont l’expression dans le temps long du cumul de l’invisibilité de la précarisation de la société depuis la fin des 30 glorieuses. C’est aussi en partie l’échec de la démocratie participative et des promesses non tenues depuis des années à ce titre le mépris des élites a été blessant. »

Et pour le sociologue, l’occupation des ronds-points est symbolique de ce rejet de l’invisibilisation. « Au-delà de leur fonctionnalité, les ronds-points ont une fonction symbolique forte, car ils ont été l’expression de la place publique, le lieu de rassemblement où la parole, dont les Gilets Jaunes se sentaient privés en tant que citoyens, était retrouvée. »

Une parole retrouvée et une défiance donc envers tout ce qui représente une institution : politiques, journalistes, mais aussi syndicats, même si là encore Gilles Tétart se veut prudent à l’idée de généraliser : « Il y avait des personnes syndiquées selon les villes, même si c’est vrai qu’il y a eu une crainte forte de voir la parole des Gilets jaunes dévoyée par des intermédiaires. »

« Le mouvement a connu une deuxième boucle avec les violences policières »

Une méfiance renforcée au fil des semaines par l’aspect sécuritaire de la réponse de l’Etat. « On a vu une volonté d’affichage politique de fermeté et une réponse sécuritaire que l’on avait plus vu en France depuis les années 60. »

Cette réponse policière a contribué au durcissement du mouvement selon Gilles Tétart. « Le mouvement a connu une deuxième boucle avec les violences policières qui ont contribué à radicaliser une partie des Gilets Jaunes. » Un constat établi également par Georges, un habitant de l’agglomération tourangelle qui avait revêtu son gilet jaune dès le 17 novembre. Ce dernier se remémore les samedis dans les rues de Tours. « On n’a pas compris pourquoi les policiers avaient agi ainsi » explique-t-il aujourd’hui. « Le 24 novembre cela avait déjà dégénéré mais je m’étais dit qu’il y avait eu des provocations, mais le 1er décembre j’étais dans les premières lignes, on n’a même pas eu le temps d’approcher de la rue Nationale que l’on s’est fait gazer. Cela a contribué à énerver beaucoup de manifestants qui n’avaient pourtant aucune animosité au départ. »

Pour Gilles Tétart, la radicalisation du mouvement au fil des semaines a quelque-chose de logique cependant. « En ne voulant pas être canalisé, le mouvement s’est laissé intégrer par des forces radicales comme les black-blocs. Dans le même temps, certains s’en sont détournés et d’autres ont durci leur contestation face à la répression policière. » Un virage plus dur qui a marqué également la fin de l’ampleur du mouvement et sa réduction progressive, face à une opinion publique s’en détournant petit à petit.

Malgré tout, Georges pense que les Gilets Jaunes ont fait évoluer les choses, « regardez aujourd’hui, on n’a jamais autant parlé de démocratie participative. » Pour d’autres, le résultat est mince : « On n’a pas été écouté, le Grand Débat a été de la fumée pour calmer les esprits, mais on attend les réponses concrètes. » De son côté Gilles Tétart pense que « ce mouvement va rester marquant sur le plan politique. Cela va peser sur les élections à venir, ne serait-ce que par le fait qu’il contribue à un repositionnement des partis. »


 Un degré en plus :

La conférence « Analyse du mouvement des gilets jaunes », se tiendra jeudi 21 novembre 2019, 14h00, Université de Tours, Amphi 2 (extension), en présence d’Antoine Bernard de Raymond (Inra) et Sylvain Bordiec (université de Bordeaux). Séance animée par Gilles Tétart, Joël Cabalion et Tom Beurois (équipe Cost).

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