L’ex-boucher et la future agricultrice

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Retrouvez le dossier principal du magazine papier 37° n°7 nommé « VillaJoie »

Que serait la France sans ses campagnes ? Souvent décrites depuis des années comme en déclin, comme des territoires oubliés, les campagnes françaises et de Touraine, retrouvent une vigueur et un intérêt certain de la part d’une partie de la population désireuse de plus de nature et de verdure. Pourtant, loin de l’image d’Epinal que l’on peut s’en faire, et malgré les problématiques réelles, elles n’ont jamais cessé d’être vivantes et d’être animées par des habitants attachées à leur terre, leur village et qui vivent pleinement leur ruralité…

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On les appelle affectueusement « les anciens » : ces retraités qui font l’âme de nos villages, souvent parce qu’ils vivent au même endroit depuis des décennies. Leur mémoire se doit d’être imprimée. Et partagée avec les jeunes générations. Voilà pourquoi nous avons eu envie d’organiser un dialogue entre Pierre et Violaine.

Nous sommes quasiment à la frontière qui sépare la Touraine du Maine-et-Loire. Entre Château-la-Vallière et Bourgueil, la D749 traverse Channay-sur-Lathan, environ 800 habitants. Sa mairie, son église, son école, ses belles maisons de pierres… Voilà un bourg charmant à 45 minutes de Tours. Une commune accueillante mais à l’activité en déclin. Fut un temps, le village bouillonnait de commerces : on en relevait encore dix-huit à la fin des années 80. En 2021 il ne reste qu’un bar multiservices à la fermeture prochaine. C’est là qu’on s’installe, à proximité du baby-foot et face au four à pain. On nous sert le thé dans de belles tasses de couleur foncée comme on n’en voit plus. Au coin de la table se placent Violaine Chartier et Pierre Pailler. 

Violaine a 14 ans et entre en 3e au collège de Savigné-sur-Lathan. L’adolescente vit ici depuis toujours, dans la ferme familiale située 4km à l’écart du bourg, au bord d’un chemin de randonnée. Pour elle, la reprise de l’entreprise est une évidence : la tradition se perpétue depuis cinq générations. Il s’agit d’une exploitation céréalière de 200ha comprenant également un élevage de 200 chèvres, un troupeau de vaches et un millier de canards à foie gras. Un peu timide, elle n’en demeure pas moins attentive au discours de son voisin. A 93 ans, Pierre est le plus vieil homme de la bourgade. Diminué par des soucis de santé, cet arrière-grand-père s’approche des 70 ans de mariage. Il vit avec sa femme de 90 ans dans la maison où il avait installé sa boucherie, une habitation donnant sur la Place de l’Eglise, par ailleurs voisine de celle où il a vu le jour en 1928, quelques mois après l’arrivée de ses parents en provenance de Haute-Vienne. Bloqué un temps dans la Nièvre pendant la guerre, il a également exercé à Versailles avant de revenir sur ses terres d’enfance.

Pierre, vous souvenez- vous de votre jeunesse à Channay ?

Dans les années 30 pendant la période du Front Populaire, le drapeau français et le drapeau russe flottaient dans le village. Des clients m’ont fait grimper au poteau pour décrocher le drapeau russe. On m’a dit de le remonter tout de suite et on m’a donné une pièce de 1 Franc. Je m’en suis servi pour acheter des caramels à Mme Jacob… Des trucs comme ça j’en ai fait plein ! J’étais connu. Plus tard, pendant l’occupation, on n’était pas trop mal. Ça allait à peu près… On faisait beaucoup de sport, du basket et surtout du football. Il y avait plusieurs équipes. Sans doute quatre ou cinq. On avait un tas de coupes, on enchaînait les matchs : on partait jouer à vélo à Villiers, Courcelles, Rillé… Parfois jusqu’à Langeais ou Souvigné. On avait 15-16 ans alors nous n’étions pas fatigués : c’était une ambiance que je ne vois plus maintenant. Les jeunes d’aujourd’hui je ne sais pas s’ils sont bien sportifs. Ils restent beaucoup chez eux, occupés par la télé ou les ordinateurs. Ça m’ennuie aussi de les voir céder à la drogue on au whiskey… Nous, on se contentait d’un verre de blanc d’Alsace.

Violaine : Moi la télé je la regarde peu. Avant je faisais de la danse en club, jamais d’autre sport. Je n’avais pas très envie et déjà pas mal d’occupations chez moi. Par ailleurs on n’avait pas grand choix : il n’y a plus d’équipe, le terrain de foot est abandonné… C’est quelque chose qui manque. 

Pierre : Je crois que l’amicale de boulistes joue encore… Ce sont les anciens jeunes de la commune. 

Violaine, comment tu t’occupes en dehors du collège ?

J’aide beaucoup mes parents à la ferme, notamment à la fromagerie. Et je prépare les marchés du week-end. Je passe aussi beaucoup de temps à m’occuper des fleurs du jardin. Plus jeune, j’ai fait du théâtre pendant six ans avec la troupe de Channay. Parce qu’il n’y avait que ça mais j’aimais bien l’ambiance : ça attirait beaucoup de monde, on faisait une douzaine de représentations dans l’année. Pour les gens du village mais aussi jusqu’à Saint-Avertin.

Pierre : Le théâtre c’est quelque chose qui a toujours bien marché ici : il y avait des troupes de partout, c’était un peu l’occupation des jeunes de l’époque. Et pendant la guerre il y en avait pour les prisonniers.

Violaine, si les activités manquent, que faites-vous entre ados ?

J’habite un peu loin du bourg donc j’invite souvent mes amies à la maison, ou je vais chez elles. Avec mes copines on va parfois aux lacs d’Hommes ou faire de l’accrobranche à Rillé. Je viens d’avoir mon premier scooter ce qui va me permettre d’être autonome, d’arrêter de demander tout le temps à maman qu’elle m’emmène ici ou là. Sinon je connais des copains qui sortent dans Channay : ils sont sur la place de la salle des fêtes car il n’y a pas d’autre structure. Je sais que ça en dérange certains qui aimeraient bien aller en ville et veulent faire des métiers citadins. Moi je ne me sens pas handicapée. Je ne pourrais pas vivre en ville, déjà à cause du brouhaha des voitures. Et puis tu te sens moins en sécurité qu’à la campagne.

Pierre : Ça ne me plait pas non plus. Pendant les années 50 j’ai travaillé deux ans dans une grande boucherie à Versailles. Je sortais beaucoup, j’étais souvent au théâtre mais j’en ai vite eu ras le bol. Je suis rentré dans le même conditionnement qu’au départ : quand j’ai pris le train, mon père m’avait donné un Napoléon. Ça m’a fait quelque chose, ça avait beaucoup de valeur. Quand il est revenu me chercher, je lui ai rendu. Ça l’a soufflé. Cela dit c’est tout ce que j’avais. Je me plaisais mieux dans mon pays où je l’ai remplacé. Et puis c’est ici que j’ai connu ma femme, un lundi de Foire de Noël, en 1951. Le coup de foudre direct et ça continue. Nous nous sommes mariés en 1952. Pour l’anecdote, c’est elle qui a dû payer notre première cuisinière parce que j’étais fauché. 

Les foires c’est une tradition par ici…

Pierre : On a eu des bonnes périodes, notamment après-guerre avec les Foires du 1er Mars où on pouvait voir plein de matériel : les voitures, les tracteurs… On a vu arriver les premiers modèles américains qui se montaient ici, c’était curieux à voir. Tout ça c’est terminé mais la dernière brocante a attiré beaucoup de monde.

Violaine : Je crois qu’il y avait 180 exposants. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu autant de gens dans les rues à se promener. C’est un événement qui a lieu chaque deuxième week-end de juillet et on y va souvent pour vendre ou acheter. 

Pierre, en tant qu’ancien commerçant quel regard portez-vous sur la situation économique actuelle de la commune ?

Channay a longtemps été très commerçante. On avait deux bouchers, deux boulangers, deux mécaniciens, deux électriciens, un docteur, un notaire, un curé… Puis les supermarchés se sont montés, ça a tué tout le petit commerce. J’aurais préféré vendre ma boucherie, j’ai essayé… mais ça n’a pas marché. Avant d’avoir ma boutique je tournais en campagne avec mon camion. J’en ai eu trois. J’allais dans toutes les fermes, de porte à porte. Aujourd’hui c’est moi qui doit aller faire mes courses à Savigné. 

Violaine : Je n’aurais jamais cru qu’il y avait autant de commerces avant. Ça parait énorme pour un petit village et je trouve ça dommage qu’il n’y ait plus rien. On doit faire presque une heure de route pour aller à Tours. Ici on a juste le Super U de Château-la-Vallière et un opticien… Rien d’autre. Ça manque, c’est compliqué.

Pourtant on voit de plus en plus de personnes qui choisissent de s’installer dans les villages…

Violaine : Oui. Après le confinement beaucoup de gens de la ville reviennent vers les campagnes.

Pierre : A une époque c’étaient les Anglais, aujourd’hui ce sont les citadins. On voit beaucoup de nouveaux qui cherchent tous une maison avec jardin. A part le boulanger je n’ai plus de contacts avec les gens de la commune. Je ne connais plus personne. 

Pierre, comment faites-vous pour les soins dont vous avez besoin ?

J’ai mon docteur à Cléré-les-Pins et mon cardiologue à Tours. J’ai la chance d’avoir un neveu à côté qui m’emmène. Et en urgence comme tout le monde c’est l’ambulance. La maison de retraite pour l’instant c’est non. Je suis partisan de rester chez moi. J’ai dit au docteur de m’entretenir le plus longtemps possible. C’est bien les résidences avec les services mais là je suis chez moi, je suis très habitué à la maison. La journée je fais mon petit tour au bar même si on me voit moins souvent car il ne faut pas que je fasse d’efforts. C’est normal, c’est la vieillesse. Il y en a des pires que moi.

Violaine, toi tu participes aux repas des anciens…

On organise ça dans la salle des fêtes le 11 novembre, juste après le défilé de commémorations. En général, il y a une soixantaine de personnes. J’ai commencé à y aller il y a trois-quatre ans grâce à mon père qui fait partie du conseil municipal : il est 3e adjoint. Je fais le service, je danse, je leur remets le bouquet avec une bouteille et j’adore ça : c’est agréable de discuter avec ces personnes âgées souvent seules. 

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