[L’Actu à la loupe] Tupperware, les dessous d’une fermeture

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Régulièrement, nous vous proposerons dans [L’Actu à la loupe] un retour complet et en long format, sur un sujet qui a fait l’actu récemment en Touraine.

Ce mois-ci place à la fermeture de l’usine Tupperware de Joué-lès-Tours et les  trois mois d’incertitudes et de luttes qui viennent de s’écouler depuis l’annonce de la fermeture le 19 octobre 2017.

Sommaire du dossier

Un traumatisme pour Joué-lès-Tours

A Joué-lès-Tours, la nouvelle de la fermeture de l’usine Tupperware et avec elle la suppression de 235 emplois a constitué un choc le 19 octobre dernier. Il faut dire que la ville tient à son tissu industriel. A l’ombre de sa grande sœur Tours, la ville jocondienne a connu un développement exponentiel à partir des années 60 en passant de 9000 habitants à plus de 30 000 en une dizaine d’années, grâce notamment à l’arrivée de grandes industries : Michelin dans les années 60, Hutchinson, Tambrands ou encore Tupperware qui y installe son site France en 1973. Des entreprises offrant des milliers d’emplois et favorisant le boom d’une ville alors encore rurale. Depuis Joué-lès-Tours s’est métamorphosée. Pour loger les populations embauchées, des quartiers sont sortis de terre ou se sont structurés : Morier, Rabière, Vallée Violette… autant de lieux dans la ville devenus symboles de cette époque et de ce développement. Et logiquement, comme partout en France, la ville a subi le contre-coup de la fin des 30 Glorieuses et l’installation de la crise d’un monde industriel baissant constamment ses effectifs depuis, jusqu’au paroxysme Michelin de 2013 et ses 706 emplois supprimés et toujours pas digérés dans cette commune, à l’heure où Tupperware annonce vouloir s’en aller à son tour.

Tupperware à Joué-lès-Tours

Installée depuis 1973 à Joué-lès-Tours, l’entreprise Tupperware a employé jusqu’à 500 salariés au sein de l’usine jocondienne.

Ils étaient encore 400 il y a une petite dizaine d’années, contre 235 aujourd’hui.

La moyenne d’âge à l’usine de Joué-lès-Tours est de 51 ans chez les salariés présents.

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Une fermeture facilitée par les Ordonnances Macron ?

Les raisons invoquées par la direction de Tupperware au moment de l’annonce de la fermeture de l’usine jocondienne paraissent implacables : « confrontée à une surcapacité industrielle notable de son réseau de fabrication européen liée à une amélioration de sa productivité et à un ralentissement de ses activités commerciales en Europe centrale et occidentale et notamment en France, l’entreprise se doit d’optimiser son empreinte industrielle afin de rétablir sa compétitivité et assurer de la croissance » écrit-elle ainsi sommairement le jour de l’annonce.

Pour les salariés, si les raisons données par l’entreprise, une baisse de production liée aux baisses des ventes ces dernières années, est une réalité, la solution adoptée de la fermeture d’usine est en revanche incomprise, d’autant plus que pour eux, toutes les solutions n’ont pas été explorées : « Sur les 235, nous sommes 63 à partir à la retraite d’ici 2020, ils auraient peut-être pu commencer par proposer un plan pour ceux-là dans un premier temps » nous explique alors Chantal, 59 ans et 43 ans d’ancienneté à Tupperware.

Un rapport d’un cabinet d’expertise comptable commandé par le CE de l’entreprise donne des précisions sur l’état de santé de Tupperware. Dans ce dernier on apprend que si la baisse de compétitivité est effectivement avérée, avec une baisse du chiffres d’affaires de la branche française de l’ordre de 27% en 3 ans, Tupperware continue de réaliser des bénéfices sur la zone géographique Europe-Afrique-Moyen Orient. Sur l’année 2016, Tupperware avait réalisé 2 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour un résultat net de 224 millions de dollars. Un résultat net en baisse sur 2017 mais s’élevant tout de même selon les estimations à 138 millions de dollars.

« C’est peut-être la première entreprise victime des ordonnances Macron. »

Jean-Patrick Gille, conseiller régional PS

Suffisant pour certains, de voir en cette fermeture, une délocalisation simple, facilitée par l’adoption des Ordonnances Macron, un mois plus tôt. Un avis partagé à la fois par le syndicat CFDT Chimie Energie Centre Val de Loire et par le conseiller régional socialiste Jean-Patrick Gille. Au sortir d’une réunion à la Préfecture d’Indre-et-Loire, début novembre, entre direction Tupperware et élus locaux, ce dernier avançait : « c’est peut-être la première entreprise victime des ordonnances Macron. »

Pour les représentants de la CFDT, syndicat non représentatif sur le site jocondien, l’usine française serait donc plus rentable et plus productive, sa surcapacité de production est de 45% contre 48% en Belgique. Et ces mêmes représentants d’y voir également une question de législation : « A la vue des conditions imposées par la législation belge en matière de suppressions collectives d’emploi pour motif économique, beaucoup plus contraignantes, il ne fait aucun doute que Tupperware ait fait le choix de la facilité plutôt que du courage et de l’efficacité ».

Un constat que ne partage pas la députée de la circonscription, Fabienne Colboc (La République en Marche) : « Les difficultés de Tupperware remontent à 3 ans environ, on ne peut pas imputer cela à Emmanuel Macron ».

Mais chez les salariés, cette impression était pourtant bien présente : « On ne me fera pas croire que cette fermeture n’était pas prévue depuis de longs mois. Tout a été fait pour faire baisser la production, elle entre dans une stratégie globale et ils ont pu l’appliquer grâce aux ordonnances de la loi Macron » évoque un salarié début janvier. Les ordonnances de la loi Macron ont en effet modifié les règles. Désormais seuls les résultats sur le territoire national sont pris en compte dans l’appréciation et la justification d’un plan social. Or, si Tupperware connaît des difficultés en Europe et en France, ce que conçoivent les salariés, ils rappellent également que l’entreprise a réalisé  des millions de dollars de profit dans le monde. Difficile dans ce cas pour les salariés de ne pas se sentir comme les premières victimes des Ordonnances Macron.

Salariés Tupperware devant la Préfecture d’Indre-et-Loire, le 15 janvier 2018 (c) Pascal Montagne

Entre volonté d’apaisement et rapport de force : des salariés dans l’incertitude

20 octobre 2017, devant l’entrée de l’usine Tupperware de Joué-lès-Tours, les salariés de l’entreprise américaine ont la gueule de bois. Face aux caméras présentes, peu acceptent de s’arrêter et beaucoup passent tête baissée. Pour les 235 salariés du site jocondien, la journée s’annonce difficile, la veille la direction nationale de l’entreprise a annoncé la fermeture de l’usine de Joué-lès-Tours, la seule présente en France. Face aux journalistes présents, les délégués syndicaux et représentants du personnels, font bonne figure malgré le désarroi se lisant sur les visages.

Pas question d’entrer dans un rapport de force clament-ils, l’objectif est d’entrer en phase de négociations dans le cadre du Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE), le nom officiel du plan social qui s’annonce. Des propos qu’ils répéteront les jours suivants, face aux interrogations sur le manque de réaction des salariés suite à l’annonce de la fermeture de l’usine, prévue pour mars 2018. Pourtant dès lors des voix s’élèvent pour critiquer cette stratégie de discussion et d’apaisement, notamment de la part de la CFDT, minoritaire dans l’entreprise, mais aussi de l’Union CGT départementale d’Indre-et-Loire.

« Ca servirait à quoi de tout bloquer ? Vous pensez que l’on est en capacité de faire reculer Tupperware ? Quand un groupe comme cela annonce une fermeture c’est ce que c’est déjà trop tard, autant garder ses forces pour les négociations et partir avec le mieux possible » raconte alors un représentant du personnel, agacé des questions des journalistes présents sur l’absence de révolte chez les salariés du site jocondien.

Une situation qui se tend début janvier

Mais face à la fermeté de la direction qui ne propose au mieux que quelques mois de prime supra-légale et face à l’impasse des négociations, la situation se tend début janvier avec le blocage de l’usine par les salariés. Palettes bloquant l’entrée, mais aussi T-Shirts représentant les salariés affichés sur les grilles de l’usine, ou encore slogans revendicatifs érigés en symboles de la colère des employés, habillent l’usine, tandis que sur la passante route de Monts qui longe le site de nombreux automobilistes ou routiers klaxonnent en soutien aux salariés.

Après avoir joué la carte des discussions avec la direction de l’entreprise américaine « afin d’obtenir le meilleur possible » du plan social à venir, les salariés ont décidé de durcir le ton afin de mettre la pression sur les négociations. Une grève qui durera plus de 15 jours, entre blocage de l’usine, manifestation à Joué-lès-Tours ou encore rassemblement à Tours…

 

Manifestation à Joué-lès-Tours, le 08 janvier

Un accord signé après 15 jours de grève

Alors que les négociations restent au point mort, c’est finalement du côté des élus locaux et de l’Etat que les salariés Tupperware vont trouver du soutien. Reçus au Ministère de l’Economie le vendredi 12 janvier, en compagnie de la députée Fabienne Colboc et de la Préfète d’Indre-et-Loire Corinne Orzechowski, les représentants du personnel ont alors espoir de voir la situation se débloquer. Ce sera chose faite quelques jours plus tard, lors d’une réunion en Préfecture d’Indre-et-Loire.

Au cours d’une réunion qui aura duré plus de 7 heures, élus du personnel et direction (France et Europe) de Tupperware trouvent un accord. Faut-il y voir une résultante de la situation de blocage à l’usine jocondienne ? Certainement pour Jean-Yves Bauche, délégué CGT. Pour ce dernier, le fait que le blocage du site commence à impacter les autres usines en Europe et notamment celle en Belgique, a fait pencher la balance. Pour Antonio Constantino qui était à la table des négociations, « c’est un bon accord qui a été trouvé. » Ce dernier, présenté mercredi 17 janvier aux salariés, a été approuvé majoritairement.

Jean-Yves Bauche, délégué syndical :

Valérie, salariée :

Les points clés de l’accord et du PSE
  • De 1 à 3 ans de prime supra-légale par salarié selon l’ancienneté dans l’entreprise.

 

  • Les salariés toucheront entre 12 et 18 mois de salaire selon leur âge.

 

  • Un cabinet de recrutement devra proposer à chaque salarié 4 offres d’emploi dans l’année avec 80% minimum de leur salaire actuel et ce dans un rayon de 40 km autour de leur domicile.

« L’essentiel est que les collaborateurs soient satisfaits de l’accord. Je tiens à les saluer parce qu’ils se sont battus intelligemment et on su mettre la pression quand il le fallait. Ils se sont battus pour les bonnes choses et avec la députée Fabienne Colboc et la Préfète d’Indre-et-Loire, Corinne Orzechowski, nous avons toujours été derrière eux et les avons accompagnés du mieux que nous pouvions ».

(Frédéric Augis, maire de Joué-lès-Tours)

Salariés devant l'Hôtel de Ville de Joué-lès-Tours, le 08 janvier dernier
Salariés devant l’Hôtel de Ville de Joué-lès-Tours, le 08 janvier dernier

Mais si la majorité des salariés a validé l’accord de principe avec la direction, certains se sentent néanmoins lésés par celui-ci. Deux jours après la reprise du travail sur le site jocondien, Nicolas* revient avec nous sur sa situation. « Je ne remets pas en cause le travail des élus du personnel, mais j’ai l’impression que certains ont été oubliés. Tout a été pensé pour les plus anciens, ce que je comprends, en revanche quand je les entends derrière dire que tout le monde partira avec 2 ou 3 ans de salaire c’est faux. Dans mon cas ce sera un an et pas plus. Dans les accords pour les salariés cadres et non cadre ayant moins de 20 ans d’ancienneté c’est un an maximum. Ce n’est pas si confortable que cela et il faut le dire parce qu’on a l’impression que le plan social c’est formidable depuis mercredi.» Et notre interlocuteur d’attendre désormais d’en savoir plus sur un éventuel repreneur du site. « Ce qu’on sait c’est que seuls quelques dizaines de salariés seront repris, mais on ne connait pas les conditions puisqu’on ne connait pas le nom du repreneur. J’espère seulement en faire partie, parce que j’ai une maison que j’ai acheté il y a moins de 5 ans et que cela éviterait une période d’instabilité pour ma famille ».

*Le prénom a été changé

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Quel avenir pour le site Tupperware à Joué-lès-Tours ?

La question de la reprise du site reste en suspend à l’heure actuelle. Plusieurs repreneurs potentiels se sont manifestés, qu’ils soient industriels ou en logistique. Il faut dire que la situation du site, à proximité de l’autoroute A10 est avantageuse. Un seul dossier serait encore à l’étude. Il resterait quelques points à affiner, mais son nom et l’officialisation de la reprise devraient être annoncés dans les semaines qui viennent selon nos informations. « Le fait que les salariés ont géré avec intelligence cette période de tension, rassure le repreneur potentiel » affirme une source proche du dossier. Il s’agirait d’un repreneur industriel, intéressé par la totalité du site (ce qui représente 4 hectares de foncier). En terme d’emplois, entre 30 et 50 salariés seraient conservés.

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