[37° dans le monde| L’école sous les arbres au Togo

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Après une série sur l’Espagne en novembre dernier, nous repartons sur les routes avec un objectif : aller rencontrer celles et ceux qui ont des liens avec notre région ailleurs sur la planète.

Nous voici cette fois au Togo. Ce petit État de l’Afrique de l’Ouest coincé entre le Ghana et le Bénin est actuellement en pleine crise politique, le pouvoir du président arrivé aux affaires à la mort de son père en 2005 étant contesté. Depuis le mois d’août 2017, les manifestations s’enchaînent, les hôpitaux tournent au ralenti en raison d’une longue grève des personnels de santé. Même les vacances de Pâques des écoliers ont été raccourcies de moitié pour compenser en partie la grande grève des enseignants.

Malgré ce contexte incertain et tendu, des projets tentent d’avancer, en s’appuyant sur des racines solides plantées il y a déjà plusieurs années. C’est le cas pour l’association Djidjole Afrique, fondée à Lomé et dont le président est aujourd’hui marié à une Eurélienne vivant à Dreux. Nous allons vous raconter son histoire…

« Ici, on conduit comme des fous » prévient Assinini Assimiou Goma. Il est 8h15 du matin et nous venons de prendre place dans le minibus de Djidjole Afrique qui nous a récupéré à un coin de rue de Lomé, à proximité du siège de la Fédération Togolaise de Football. Nous sommes 4 à bord, à l’arrière il n’y a pas de ceinture, et nous partons vers Agbodjé, un village de 600 habitants à 75km de la capitale, soit 1h30 de route. Dans l’agitation matinale, le véhicule doit rivaliser d’adresse pour éviter les dangers : dépassements à droite, excès de vitesse et surtout les zem (les motos taxis) indisciplinés qui peuvent débarquer à tout moment de n’importe où, et dont seuls les conducteurs ont l’obligation de porter le casque.

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Le minibus de Djidjole Afrique

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La carte du Togo sur un tableau de classe

On sort de Lomé par une grande route qui longe une décharge gigantesque. Au Togo comme dans plusieurs pays d’Afrique, la gestion des déchets n’est pas au point et le plastique s’infiltre partout : sur les trottoirs, dans la mer, dans les champs… Un poison. On passe un péage à 400 Francs CFA (0,80€) et nous voici sur la Nationale 1, la grande route qui file vers le Nord et le Burkina Faso, un axe structurant à peine plus large qu’une de nos départementales mais emprunté en permanence par des camions surchargés des denrées débarquées au port de la ville (ce lundi-là, nous en avons vu deux dans le fossé).

Autour de nous, le paysage est plutôt verdoyant… On voit des champs de coton ou de maïs, des espaces forestiers aussi. Puis vient la ville de Tsévié, où l’on goûte à « la meilleure brioche de la région », que l’on pourrait vous décrire comme un produit à mi-chemin entre une baguette et la spécialité de la Vendée : ça manque clairement de beurre, mais ça cale pour le reste du chemin.

A suivre aussi cette semaine : une rencontre avec des universitaires de Lomé passés par Tours et la visite d’un centre de santé soutenu par l’association tourangelle Tawaka.

A Agbodjé, une école de 10 classes dont 4 dehors

A 9h45, on quitte la grande route pour 3km de piste vers notre destination, Agbodjé. On commence par aller voir l’école, un peu à l’écart du village. Le minibus se gare dans la grande cour ombragée bordée de deux bâtiments, et deux préaux. Au centre, on ne peut pas manquer le grand mât qui sert pour la cérémonie du drapeau chaque matin un peu avant 7h30. Ici, 300 enfants étudient dans 10 classes, du CP1 au CM2. 6 d’entre elles sont dans les constructions en dur : une édifiée par l’association en 2014, la seconde rénovée et rehaussée en 2017 avec des étudiants lyonnais.

Les 4 autres classes sont en extérieur, sous des toits végétaux qui font de l’ombre à des moutons en l’absence d’élèves. Juste derrière, il y a un grand terrain de sport où les cours d’EPS ont lieu deux après-midis par semaine à 16h. Au fond, on distingue un beau baobab et puis des latrines (wc) publiques, également financées par Djidjole Afrique.

Le baobab au fond du terrain de sport

80% d’enfants scolarisés

« L’idéal ici serait d’avoir 12 classes » nous expliquent les membres de l’association. En plus des enfants d’Agbodjé, l’établissement accueille ceux d’autres petits villages situés dans un rayon de 2km. Selon les estimations des bénévoles, le taux de scolarisation est de 80% jusqu’au CM2, beaucoup moins ensuite : le 1er collège est à 3km, le lycée à 15km. Les plus motivés font le chemin à pied, les plus chanceux ont un vélo, une moto ou un logement sur place, les autres se débrouillent, souvent aux champs. Pour apprendre un métier ailleurs que dans le monde agricole, certains font de l’apprentissage, c’est-à-dire qu’ils travaillent gratuitement pour un patron. La durée normale est de 3 ans quand les parents peuvent financer la formation, sinon c’est 5 ans pour obtenir une sorte de diplôme.

Les deux bâtiments en dur de l’école d’Agbodjé

Même pour les plus jeunes il y a des difficultés : les familles doivent financer l’uniforme (une tenue kaki) et parfois il faut participer pour payer les enseignants « volontaires » qui viennent des villes des environs. Pour le matériel scolaire, Djidjole organise des distributions au moment de la rentrée de septembre. Dans un avenir proche, elle espère pouvoir construire d’autres classes, et créer un petit système de gouttières pour récolter l’eau afin d’alimenter un potager éducatif. En attendant, 3 étudiantes lilloises viennent sur place ce mois-ci pour donner de nouvelles perspectives économiques aux habitants et construire des tables avec banc pour les élèves. Conçues pour deux, elles sont en quantité insuffisantes et certains doivent donc se mettre à trois dessus, voire rester par terre.

Une agriculture « archaïque »

C’est pour préparer cette venue de renforts français que Djidjole fait le déplacement jusqu’à Agbodjé ce lundi 26 mars. Les bénévoles ont rendez-vous avec le chef traditionnel du village pour évoquer avec lui l’organisation du séjour, notamment le logement. Ayoh Ebiya a 58 ans, 3 femmes et 12 enfants âgés de 8 à 28 ans. Il a pris la suite de son père il y a 8 ans et habite une « maison » au cœur du village, en fait c’est un ensemble de petites cases avec une cour centrale.

Ayoh Ebiya avec le président de Djidjole Afrique (à gauche)

Ici, la seule ressource c’est l’agriculture mais la terre s’appauvrit avec le temps. Il n’y a pas la place pour mettre les champs en jachère, les paysans manquent d’argent pour acheter des engrais, n’ont pas d’enclos pour garder les animaux, les vaccins sont complexes à obtenir pour le bétail et la sécheresse entraîne régulièrement la famine… « L’agriculture et l’élevage sont archaïques » nous dit Ayoh Ebiya qui nous explique aussi le système de répartition des terres : les enfants se partagent les champs des parents, donc au fil du temps ils ont de moins en moins de surface dont ils peuvent espérer tirer des revenus.

Une ferme bio :

Le secrétaire de Djidjole Afrique est technicien agricole et tente d’œuvrer pour le bio au Togo via sa plantation. Les produits ne se vendent pas plus cher au marché, ne sont même pas présentés comme bio mais ce sont des objectifs à terme afin de se servir de ces revenus pour financer les autres actions de l’association.

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A Agbodjé, on capte la 3G mais l’électricité est inexistante. Cela dit, son absence n’est pas la plus grande préoccupation du chef, ses problèmes principaux ce sont les difficultés d’éducation et de santé (le premier dispensaire, financé par des sœurs italiennes, est à 3km). Il redoute aussi des inondations comme en 2008, lorsque les maisons en terre du village s’étaient écroulées sous la force de l’eau. Aujourd’hui, Agbodjé est donc un village surpeuplé à la population encore grandissante et dont le seul salut semble venir du soutien associatif : « ici, le gouvernement c’est Djidjole » lâche le chef traditionnel.

L’école et le village d’Agbodjé

1 arbre coupé = 5 arbres replantés

On reprend la route et on s’arrête à Amakpakpé, au bout de la piste. Située au bord de la nationale, cette petite ville dispose de l’électricité, d’un château d’eau, d’un collège, d’un dispensaire… Djidjole y intervient aussi, via une distribution de moustiquaires, de quoi permettre de lutter contre le paludisme, maladie qui ravage le pays. « On va là où le besoin se fait le plus sentir » nous explique le président, Assinini Assimiou Goma, « des fois un monsieur vous tombe dessus et vous parle de son village, alors on va sur place vérifier quels sont les besoins et déterminer un projet. » L’un des derniers sur la liste, c’est à Togba, encore une commune de 600 habitants sans électricité. En mai, 16 étudiants de l’EM Lyon (une école de management) vont venir construire un bâtiment pour l’école. Objectif : faire une classe par an, alors qu’aujourd’hui tous les cours se font dehors. Mais avant d’empiler les briques, Djidjole a planté des arbres dans la cour : avec la scolarisation, le reboisement est son autre priorité dans un pays où l’on coupe le bois pour le vendre, pour cuisiner ou pour l’artisanat, sans forcément penser à replanter derrière.

La pépinière de Togba

Un arbre récemment plante devant l’école de Togba

Un habitant de Togba va tenter de faire pousser du cacao

« Nous faisons un grand travail de sensibilisation avec un message : un arbre de coupé c’est 5 arbres à replanter » nous raconte l’équipe de la structure. « Même si la pluviométrie a fortement diminué ces dernières années ce qui a des conséquences sur l’agriculture la cause première du problème c’est l’homme avec la destruction massive de nos forêts. Ils déboisent pour faire du charbon et c’est difficile de raisonner certains villageois quand ils vivent de cela. Heureusement que nous avons des Français avec nous, on est mieux écoutés quand on arrive avec un étranger non africain. Et quand on va dans les villages reboisés où les arbres sont devenus grands c’est la preuve que c’est efficace. Si tout le monde met la main à la pâte on peut redonner sa verdure à la végétation togolaise. »

« L’environnement n’est pas le point fort du gouvernement »

Dans le village de Togba que nous visitons, une pépinière a été créée pour développer des arbres capables de grandir de manière assez nette en 3 ans, un agriculteur va même essayer de faire pousser du café et du cacao près de la rivière alors que la région n’est pas réputée pour ces cultures. Prochaines ambitions : tenter de pousser les habitants à remplacer le charbon par du gaz ou équiper les villages de fours solaires. Pour cela, Djidjole travaille avec un lycée agricole d’Aix-en-Provence, une solution de repli car « pour avoir l’électricité, il faudra encore attendre 20 ans. L’environnement n’est pas le point fort du gouvernement. Il existe une journée spéciale le 1er juin depuis 1975 mais c’est tout » déplore le président qui espère aussi une interdiction des sachets en plastique noir au profit de sacs biodégradables. En attendant, il ne peut qu’encourager des campagnes de ramassage des déchets dans les villages à la fin des missions.

L’école actuelle de Togba

Fondée en 2006, Djidjole Afrique joue donc sur plusieurs tableaux. Établie dans une petite maison de Lomé, l’association compte une quinzaine de bénévoles, dont une dizaine particulièrement actifs (on y trouve un chauffeur de camions, un prof d’anglais, des artistes, des étudiants…). Par ailleurs, près de 1 000 volontaires français ou suisses sont déjà venus participer à des chantiers, dont la femme du président rencontrée en 2009 lors d’une mission et qui fait qu’il partage désormais sa vie entre le Togo et la région Centre-Val de Loire.

Un centre dédié aux enfants de rue à Lomé

Assinini Assimiou Goma raconte les débuts de son aventure : « quand j’étais étudiant je bossais pour deux associations de protection de l’environnement et de l’enfance. Et j’ai voulu concilier les deux ce que j’ai fait en septembre avec deux amies rencontrées ici, Elodie et Anaïs. Djidjole, ça veut dire la joie de vivre en Afrique, c’est pour aller contre l’image véhiculée en occident comme quoi nous vivons dans un continent de misère avec la guerre, le sida, le paludisme… Par cette dénomination on montre l’image d’une Afrique qui bouge et qui gagne. Nous avons commencé avec une mission de reboisement au Nord du Togo, face à l’avancée du désert. Maintenant nous enchaînons les missions de soutien scolaire, de prévention sanitaire et de rénovation ou construction de bâtiments scolaires ou de latrines publiques (dont certaines dites « bio », des toilettes sèches, donc, ndlr). »

Paroles de bénévoles de Djidjole à Lomé :

Maria, engagée depuis 4 ans : « j’ai arrêté mes études après le bac faute de moyens et de soutien. Je n’avais rien à faire, j’ai connu le président par un ami et j’ai tout de suite partagé ses objectifs. La jeunesse africaine détient son propre avenir si elle s’investit corps et âme. »

Zafira, étudiante en deuxième année de management spécialité logistique : « j’ai connu l’association par les réseaux sociaux, c’est ma première année et j’ai notamment participé à l’opération Noël pour Tous pour faire la distribution des jouets et d’un repas chaud aux enfants des villages. »

Michel, artiste peintre : « J’ai participé à Noël pour Tous en 2012, j’avais fait une banderole. J’ai vu la façon dont ils accueillaient les enfants et j’ai voulu les rejoindre car d’autres enfants ont besoin de nous et de notre expérience.»

Le président de Djidjole Afrique

Sur Lomé, Djidjole a aussi un centre dédié aux enfants de rue depuis 11 ans avec des activités (lecture, coloriage…) et la distribution d’un repas chaud chaque mercredi. L’un de ses pensionnaires est aujourd’hui conducteur de camions et bénévole : « je suis arrivé à 12 ans et au final j’ai passé mon permis grâce à Djidjole et je travaille depuis 2015. Après ça j’avais besoin de rester en contact pour aider d’autres enfants comme moi en fonction de ma disponibilité. »

Des subventions qui se raréfient

Née au Togo et portée par des Togolais, Djidjole Afrique est donc essentiellement soutenue par la France et la Suisse, et connait comme beaucoup d’associations le manque de subventions des collectivités locales ou des grandes écoles. Pas aidée non plus par l’État togolais « parce que l’on n’a pas la main assez longue, on ne connait pas les bonnes personnes », elle espère pouvoir devenir prochainement une véritable ONG en payant ses salariés. Pour cela, une enveloppe de 17 000€ annuels serait nécessaire, sachant qu’aujourd’hui le budget de la structure pour ses actions est de 30 000€.

Le souci c’est que la situation politique togolaise rend les soutiens frileux. En raison de la multiplication des grèves et des manifestations contre le pouvoir, et du durcissement des actions de l’État (les contestataires sont traqués par la police) « on n’a plus le même flux de bénévoles qu’il y a 3-4 ans » note le président de l’association espérant que le dialogue engagé avec le président finira par apaiser la situation. Pour l’instant, c’est un échec et les cortèges – interdits par les autorités – ont repris juste après notre départ. Ils se sont terminés dans le sang avec 25 blessés selon l’opposition, un rapport publié il y a quelques jours évalue lui à au moins une centaine le nombre de morts dans des défilés depuis l’été 2017 (des journalistes ont été arrêtés suite à sa publication). La situation est donc on ne peut plus tendue : « on serre les fesses et on croise les doigts. Beaucoup de pays nous regardent » conclue le fondateur de Djidjole Afrique.

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