Les séries télé sont-elles « LGBTQ-friendly » ?

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Transparent, Sense 8, Queer as folkPlus belle la vie ou Dix pour cent… Les séries qui mettent en avant la diversité des sexualités sont de plus en plus nombreuses à la télé ou sur les plateformes de streaming. Des programmes qui ne se contentent pas d’intégrer des personnages LGBTQ au casting mais qui leur donnent une constance, un rôle sociétal marquant. Une prise de conscience de l’évolution de l’humanité analysée en détails ce vendredi 1er février lors d’une journée d’étude à l’IUT de Tours, en partenariat avec le festival Désir… Désirs. Nous avons rencontré deux spécialistes du sujet.

Quand il analyse le paysage sériel des années 2018, l’enseignant-chercheur tourangeau Grégory Halbout est formel : « on sort des stéréotypes de l’homme gay hystérique ou de la lesbienne méchante » lorsque des personnages LGBTQ sont représentés à l’écran. Pour appuyer son raisonnement, le maître de conférences et membre du laboratoire ICD prend exemple sur des séries comme Looking qui raconte la vie de trois hommes gays de San Francisco ou sur l’ultrapopulaire Modern Family qui met en avant un couple d’hommes : « même si c’est une comédie loufoque avec des vertus caricaturales, il n’y a jamais de regard négatif moral ou de fin d’épisode ou ils sont perdants. Ils ont un statut égalitaire par rapport aux autres couples de la famille, au même titre que le père qui a une femme avec 40 ans de moins que lui. »

Ayant notamment travaillé pour Disney, Grégoire Halbout connait bien l’univers du divertissement par l’image. Spécialiste du classicisme hollywoodien, il s’est toujours intéressé au traitement des questions d’intimité et d’égalité dans les couples avant de tomber sur Looking, un coup de cœur :

« C’est une série qui montrait beaucoup de choses sur la solitude, la difficulté de vivre avec quelqu’un d’autre, les rapports amoureux… Elle n’est pas stigmatisante ni caricaturale. C’est l’anti Queer as folk, première vraie série gay anglaise qui avait un parti pris provocateur, très direct. Mais il le fallait à cette époque (premier épisode en l’an 2000, ndlr). A un moment, il faut casser les codes. »

Parmi les références, Orange is the new black

Les scénarios, la psychologie des personnages et l’impact de leur présence ont donc évolué au fil des années. Quand Plus belle la vie a mis pour la première fois un personnage gay au centre de son intrigue, c’était un « signe fort » pour ce feuilleton diffusé à une heure de très grande écoute sur France 3 selon Grégoire Halbout. Quelques années plus tard, le personnage d’Andréa joué par Camille Cottin dans Dix pour cent (France 2) sort avec des femmes, c’est acté dès les premières minutes et c’est une évidence. On la voit dans sa vie sentimentale, via un rôle suffisamment bien écrit pour amener de manière fine mais sérieuse des réflexions sur ce que c’est d’être lesbienne aujourd’hui, notamment quand le désir d’enfant se fait sentir.

https://www.youtube.com/watch?v=pW19XHshUwA

Aux États-Unis, des séries comme Orange is the new black ont également joué un rôle fondateur. La production Netflix qui suit les détenues d’une prison pour femmes a d’abord passé du temps à explorer les désirs sexuels de son héroïne principale Piper. Plusieurs années ont passé… Au fil des saisons, elle a intégré naturellement une multitude de personnages LGBTQ dans les différents épisodes, sans lourdeur et en abordant frontalement les dilemmes sociétaux inhérents à ces personnalités. C’est d’autant plus fort que ce programme ne semble pas ciblé en priorité pour une communauté particulière. C’est une histoire « grand public », tout comme a pu l’être The L World.

L’importance des scènes de coming out

Ces avancées notables sont capitales. Comme pour le cinéma, celles et ceux qui regardent des séries télé s’identifient aux personnages et peuvent dupliquer dans le monde réel des comportements vus à l’écran : « les idées reçues, on ne sait pas très bien d’où on les récupère. Cela peut venir de petits moments, d’expériences assez furtives qui nous marquent pour toujours, par exemple à la télé » estime Anne Crémieux, universitaire parisienne également attendue à Tours ce vendredi. Mettre en valeur des couples LGBTQ, faire une place aux personnes trans pourrait alors aider à gommer des comportements homophobes ou transphobes encore bien trop nombreux. De même que les auteur(e)s se doivent de soigner les scènes de coming out « pour prendre en compte la diversité des situations » insiste Grégoire Halbout.

Spécialiste des séries américaines, Anne Crémieux fait un parallèle entre la visibilité des LGBTQ dans les séries et le traitement du racisme envers les Noirs dans les œuvres filmées il y a une trentaine d’années :

« C’était le sujet d’un épisode et on passait à autre chose. Aujourd’hui certaines séries ne parlent que de ça, c’est intégré. C’est normal que l’on s’intéresse au vécu des personnages. Si l’on a un cousin homosexuel, on ne va pas lui parler que de ça mais on peut éventuellement aborder la question. »

Les questions LGBTQ font « de très bons sujets de série » selon Anne Crémieux : « il y a quantité de débats à développer sur des saisons et des saisons. Par exemple toutes sortes de parcours de personnes trans, car elles ont toutes une vision différente sur ce que c’est d’être trans. » Le problème : si des personnages trans apparaissent à l’écran, ils ne sont pas forcément incarnés par des trans. Sans compter une représentation marginale voire inexistante dans les équipes de création : « tant que ce ne sont pas les trans qui écrivent les séries, la représentation des trans ne sera pas optimale » déplore la maîtresse de conférences encore choquée de voir que certaines intrigues se concentrent sur le sort des organes génitaux de ces personnages en pleine évolution.

Par ailleurs, en France, impossible de nier que l’industrie télévisuelle reste encore frileuse : TF1 avait un projet de série autour d’un personnage principal trans… mais il a été annulé. Et M6 refuse toujours d’intégrer un couple gay (ou lesbien) dans Scènes de ménage : « en 2019, on pourrait pourtant s’attendre à en trouver » souligne Grégoire Halbout évoquant « l’attente de représentation » d’une partie de la population « qui ne supporte pas d’être invisible. Elle ne veut pas être stigmatisée mais court après l’étiquette. C’est une phase logique. » Il faut alors se tourner vers le web pour découvrir une palette de personnalités fortes et « creuser » les sujets sans prendre de gros risques liés à l’audience relève le chercheur qui prend exemple sur la série Les Engagés remarquée pour son « culot ».


Un degré en plus :

Journée d’étude sur la question LGBT dans les séries, ce vendredi 1er février de 9h30 à 17h au 5ème étage de la bibliothèque de la fac des Tanneurs.

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