GRAND FORMAT – Cet article parle prévention du suicide en Touraine, et vous devriez vraiment le lire

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On arrive de plus en plus facilement à parler des cancers, des infarctus ou des AVC mais le suicide demeure souvent un sujet tabou. En Indre-et-Loire il existe pourtant tout un réseau qui s’active pour en parler et chercher des solutions afin d’éviter les passages à l’acte. Reportage.

C’est un plateau de bureaux dépendant du CHU de Tours mais éloigné des principaux sites hospitaliers de l’agglomération. Là, 8 infirmières sont chargées de répondre aux appels de détresse du 31 14, le numéro national dédié à la prévention du suicide. Depuis 2024, il dispose d’une antenne tourangelle compétente pour l’ensemble de la région Centre-Val de Loire, même si elle traite aussi de cas provenant d’autres régions, ou qu’il arrive que des communications passées depuis le territoire ligérien soient redirigées vers d’autres sites pour limiter l’attente ou parce qu’elles ont lieu en dehors des horaires d’ouverture (Tours n’est pas encore ouvert 24h/24 contrairement à d’autres lieux). 

Au final, peu importe qui répond, l’accueil sera de la même qualité. Derrière le micro, ce sont des professionnels de santé spécialement formés qui conversent, remplissant un dossier médical après chaque communication (d’où le fait qu’un appel au 31 14 est confidentiel car soumis au secret médical mais pas anonyme afin d’assurer un suivi). 

Sur ses premiers mois d’activité, le standard tourangeau a déjà traité 13 000 communications. « Vous avez des appels pour simples conseils qui peuvent durer 5-10 minutes et d’autres qui peuvent atteindre une heure ou 1h30 en cas de grosse crise » développe le Docteur Antoine Bray, psychiatre responsable du site. 

Les discussions peuvent être très prenantes émotionnellement. Après avoir raccroché, les répondantes tourangelles doivent systématiquement remplir un document résumant leur échange. Elles peuvent débriefer des situations délicates avec leurs collègues ou s’isoler dans une pièce avec un fauteuil massant pour reprendre leurs esprits. Ce n’est pas du coup de fil à la chaîne. 

« Je ne veux pas qu’elles prennent l’appel de trop. Mieux vaut qu’une personne attende plus longtemps plutôt qu’elle soit mal reçue. Imaginez déjà le courage d’appeler, la moindre des choses c’est que la qualité d’écoute soit irréprochable. »

Il n’est pas rare non plus de voir les équipes marcher dans les couloirs pour se concentrer au mieux sur l’appel. 

« C’est un job difficile mais essentiel. Elles sauvent des vies tous les jours » commente Antoine Bray évoquant des profils en provenance des services de réanimation comme d’autres spécialités pour montrer leur diversité. Qualité commune : l’empathie. « On valorise leur courage » confie une écoutante alors que parfois la première phrase entendue est « je ne sais pas pourquoi j’appelle ».

« On apporte un soin. Pas forcément technique mais relationnel » complète l’infirmière. En revanche pas question de nouer une relation avec les personnes qui contactent le 31 14, l’idée étant justement de les renvoyer vers des aides spécifiques selon leur situation (suivi médico-psychilogique, assistance sociale, écoute via d’autres plateformes comme SOS Amitié). 

A ce stade, il est bon de préciser que le 31 14 n’est pas seulement dédié aux personnes qui pensent au suicide. Il s’adresse aussi à leurs proches, aux personnes endeuillées après un suicide, ou aux professionnels de santé qui ont besoin d’un accompagnement dans la gestion d’une situation délicate. Plus de 75% des appels concernent néanmoins une situation de détresse immédiate et près de 15% l’inquiétude de proches.

Surtout, l’ambition est que ce numéro devienne un réflexe, comme le 39 19 pour l’enfance maltraitée ou le 39 89 pour la lutte contre les violences faites aux femmes. Une popularisation parfois soutenue par l’intelligence artificielle : « Plusieurs fois les gens appellent après un conseil de Chat GPT quand le logiciel constate des changements dans le comportement des utilisateurs et ça nous aide » nous dit-on. Une étape dans un chemin sinueux. « J’aimerais que ça continue à être plus connu et globalement que cette question sociale soit davantage traitée » plaide Antoine Bray, par ailleurs coprésident du réseau Vies 37 qui fédère les différents acteurs de la prévention du suicide, une structure assez novatrice en France et dont les bureaux au standard du 31 14.

« Il y a des politiques de prévention qui se sont développées et ça marche. Depuis on a fait reculer les chiffres officiels de 30% mais ce n’est pas encore assez. »

On estime que 412 suicides ont lieu chaque année en Centre-Val de Loire. Plus d’un chaque jour, sachant que cette donnée est sûrement sous-estimée. Par ailleurs, selon Antoine Bray, un suicide touche 135 personnes autour de la personne concernée, de la famille aux pompiers qui interviennent. 6 à 14 personnes s’en trouvent durablement impactées (impossibilité de travailler, dépression…).

L’un des enjeux est de casser le tabou autour du suicide. « Je ne veux pas qu’on parle d’idées noires parce qu’on ne sait pas trop de quoi on parle mais bien d’idées suicidaires. Parler du suicide est une opportunité, une chance de parler de la souffrance » plaide Antoine Bray qui réfute aussi le terme de « courage » parfois utilisé pour l’acte en lui-même. « Il faut avoir en tête que personne n’est à l’abri. Souvent on entend qu’on n’a rien vu venir, que c’était brutal, même de la part de professionnels. Mais le passage à l’actu suicidaire arrive au bout d’un processus de crise, de tensions qui s’accumulent » précise le professionnel.

C’est ce qui est arrivé à Olivier. Originaire de l’Est de la France, ce pilote d’hélicoptère tourangeau travaille pour le SAMU après un début de carrière dans l’armée. Arrivé en Indre-et-Loire en 2008, il a fait une tentative de suicide en juillet 2011, après plusieurs essais dans les semaines précédentes. « J’ai commencé à glisser en 2005, à la naissance de mon fils » nous raconte-t-il.

« Il a passé 9 jours en néonatalogie. Sa fragilité a eu des résonances, je me suis revu à ma période d’adolescence avec des traumas de maltraitance et de pédophilie subie à la piscine dont je n’avais jamais parlé. J’ai commencé à me sentir très mal dans mon corps. Mon comportement change, et notamment mon comportement sexuel. J’exprime un dégoût pour le sexe, un dégoût envers moi. Je ne comprends pas et ma compagne non plus. Je ne fais pas le rapport avant de consulter qui ne se passe pas bien. Je prends tout de plein fouet : c’est toute une conception de moi qui se casse, beaucoup de certitudes qui s’effondrent. Ma compagne est sidérée et impuissante pour m’aider. Je m’enfonce, je m’isole, je parle moins. »

Les souffrances ne s’arrêtent pas là. Par la suite, Olivier perd son père en 2006 et commet un adultère quelques années plus tard. « J’avais des comportements autodestructeurs » se souvient-il, dont de premières pensées : « Quand j’étais sur la route pour le travail, je me suis souvent demandé quel platane j’allais prendre. » « Je me rends compte que je souffre beaucoup mais en public je souris. Personne n’a rien vu » dit encore le quinquagénaire qui espérait que sa mutation en Touraine serait une échappatoire. Il n’en fut rien.

En juillet 2011, une amie de sa femme le retrouve après sa TS. Il se réveille aux urgences. « Le premier souvenir que j’ai c’est celui de l’infirmière qui me demande comment ça va » raconte Olivier. Il passe 48h dans le service. « Je me sentais bien, j’étais au calme. » Puis vient la rencontre de Lisa, interne.

« Elle m’a reçu dans son bureau et n’avait pas l’approche de psy classique. Elle n’a pas fait en sorte que je puisse subir de la culpabilité, et m’a juste demandé ce dont j’avais besoin : me reposer et me mettre au vert. »

S’ensuivent plusieurs semaines d’intégration au Château de Montchenin. « Quand je monte dans le taxi je ne sais pas où je vais » se remémore Olivier. A l’arrivée, ça lui fait bizarre d’être aux côtés de personnes bipolaires ou schizophrènes. « La question c’est est-ce que je reste là, ou je pars ? » Il reste et accepte progressivement qui il est : son enfance, la perte de son père…

« Maintenant je suis quelqu’un d’apaisé, en paix avec moi-même et mes traumas. Ce que je pensais être des faiblesses sont juste des fragilités et si elles sont atteintes j’ai mis en place des garde-fous pour reprendre le contrôle. A l’époque de ma TS je faisais beaucoup de cauchemars, désormais je fais beaucoup de rêves. Je n’ai plus une vie chronométrée, je fais des pauses. Si j’entends un pivert ou une rivière coulée je m’arrête et j’écris : mes rêves, et des histoires. »

Cette renaissance est advenue après 3 ans et demi de suivi psy, « des hauts et des bas » mais une pente remontée de manière certaine. « Je n’ai jamais repensé au suicide » assure Olivier qui a écrit le poème L’Entonoir pour raconter son histoire. Un texte couché sur le papier en 2020 avant qu’il ne s’investisse dans le réseau Vies 37 l’année suivante pour témoigner, et faire la promotion des dispositifs de soutien : « Si j’avais eu le 31 14 en 2011, j’aurais peut-être appelé » glisse le quinquagénaire. Le Dr Antoine Bray complète précisant qu’une plateforme téléphonique dédiée au suivi des personnes qui ont fait une tentative de suicide existe, doublée d’un système d’envoi de cartes postales pour brise la solitude, « et les gens répondent. »

On estime alors que le risque de réitération est abaissé de 38% (réitération et non récidive, pour ne pas aller vers le champ judiciaire qui serait culpabilisant).

Olivier confirme : « Quelqu’un qui fait une crise suicidaire a besoin de trouver une bulle de protection pour désamorcer la bombe en lui. Le réflexe psy est de trouver la cause alors que ce dont la personne a besoin c’est d’être soulagée. » En ça, le pilote d’hélicoptère rejoint les propos du psychiatre certifiant que « une personne qui fait une tentative ne veut pas mourir, elle veut simplement arrêter de souffrir. »

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