L’actualité des derniers mois a largement mis en lumière les difficultés du petit commerce de centre-ville, liées à la concurrence massive d’Internet, à la crise économique ou encore aux réticences des automobilistes, découragés dès qu’il devient un peu plus difficile de se garer ou de stationner. On entend alors dire que les centres commerciaux seraient les grands gagnants de l’histoire. Mais eux aussi souffrent et doivent lutter pour conserver leur clientèle.
La marque de sous-vêtements Undiz qui quitte le centre-commercial des Atlantes de St-Pierre-des-Corps pour privilégier une installation dans une cellule de L’Heure Tranquille, quartier des Deux-Lions à Tours. Voilà qui illustre la concurrence féroce que se mènent les différents centres commerciaux de l’agglomération tourangelle. En ce moment c’est la course pour savoir qui réussira à annoncer la plus belle arrivée d’enseigne, qui aura les meilleures animations ou qui trouvera la nouveauté la plus innovante.
Cette compétition a fait une victime. Mal pensé, peu novateur, réputé cher et faiblement relié aux transports en commun, La Riche Soleil est actuellement mourant. Le changement d’enseigne de l’hypermarché (Géant devenu Intermarché) avait fait espérer une relance mais c’était, semble-t-il, déjà trop tard. Aujourd’hui, la seule question sérieuse qui se pose c’est de savoir si cet immense site est voué à devenir une friche ou si on peut encore en tirer quelque chose d’utile pour la communauté.
Ailleurs, chacun tente d’exister et de mettre en avant ses atouts. A Tours-Nord, La Petite Arche dispose d’une association locale assez dynamique qui organise régulièrement des événements. A Joué-lès-Tours, le Leclerc de la Route de Monts bénéficie du développement de population au sud de l’agglo et de la présence de locomotives comme Action. Il s’apprête à s’agrandir. A Chambray, Ma Petite Madelaine peut s’enorgueillir d’être créateur de bouchons lors des pics de consommation grâce à des phares comme Nike ou Alinéa, uniques en Indre-et-Loire. De quoi s’offrir une place sur le podium avec les Atlantes et L’Heure Tranquille.
Entre ces trois-là, il y a clairement match. Revendiquant la place de plus grand complexe commercial de la région, Les Atlantes ne vit pas sa période la plus faste. Malgré une vaste rénovation du parking et des extérieurs du bâtiment, le complexe géré par Eurocommercial subit les difficultés des enseignes du secteur de l’habillement ou de la décoration. Celio est par exemple parti. Go Sport est devenu Intersport. Et il est loin le temps où Burger King et Pandora servaient de locomotive.

Pour autant, le site corpopétrussien est loin d’être dans la grande panade. Un Kiabi est sur le point d’ouvrir. L’enseigne animalière Maxi Zoo et la marque de déco La Chaise Longue viennent de s’installer. Boulanger s’est agrandi. Le Comptoir de Mathilde est arrivé. Subway et La Fabrique Cookies ont aménagé des comptoirs. C’est dynamique… mais cela n’enlève pas les rideaux baissés, pas si rares quand on arpente la galerie.
Pour chercher la dynamique, il faut donc aller du côté des Deux-Lions, à Tours-Sud. Longtemps moqué pour son nom « tranquille comme sa fréquentation », L’Heure Tranquille affiche aujourd’hui une forme insolente se félicitant d’un taux de vacance inférieur à 5%, avec des intérêts marqués pour les locaux inoccupés… voire des solutions pour les faire vivre temporairement (comme l’accueil de l’enseigne itinérante Le Hangar début septembre avec ses déstockages de marque qui ont attiré une foule immense lors du premier jour d’ouverture).
Le centre commercial de Tours-Sud devient un spécialiste du commerce événementiel comme l’a prouvée la hype autour de Primark en décembre 2024. Ou l’ouverture du 2e magasin de la marque discount danoise Normal. Rituals doit sous peu y installer son 3e point de vente tourangeau après Tours-Centre et Les Atlantes. Fitness Park s’est agrandi pour devenir la plus grande salle de sport de la Métropole et une marque « santé-beauté » serait sur les rangs pour débarquer.
Cette « vitalité » fait dire à la direction qu’elle vise le titre de « destination préférée des Tourangeaux » en cultivant l’arrivée d’exclusivité « accessibles pour tous les budgets » avec l’ambition de franchir très vite le cap des 5 millions de visiteurs annuels, ce qui la rapprocherait des Atlantes… sans la locomotive d’un hypermarché (Ma Petite Madelaine est plutôt autour des 3 millions mais avec deux fois moins d’enseignes).

Pour parvenir à ses fins, L’Heure Tranquille a récemment déployé de gros moyens dont l’investissement de 3 millions d’€ pour refaire sa place centrale et ses allées avec des pergolas ou de la décoration colorée. Il mise sur l’art, avec la grande œuvre d’un street artiste tourangeau pour son entrée Est (Dawal). Et surtout, son propriétaire Apsys (également implanté à St Etienne ou à Paris via le centre commercial Beaugrenelle) a intelligemment développé une stratégie d’intégration dans le tissu économique et événementiel local. Il collabore avec France Travail pour des opérations de recrutement ou avec l’association Active pour encourager le recyclage de vêtements. Et chaque jour, la musique est coupée de 11h à midi pour ne pas perturber le public sensible (comme les personnes atteintes d’autisme).
Ces différents ingrédients font mouche : +13% de fréquentation en un an, la captation d’une clientèle qui fait parfois plus de 200km pour venir, +50% de chiffre d’affaires, un panier moyen de dépenses de 69€ et une durée de visite moyenne de 56 minutes. « On a doublé le chiffre d’affaires depuis 2019 » claironnent même la directrice Charline Bourgeon et l’un des responsables d’Apsys Julien Bossard (sans communiquer plus de chiffres sur ce CA, ni d’ailleurs sur le montant des loyers, réputé très élevé).
Le business modèle semble donc réussi, même si dans le commerce rien n’est jamais éternellement acquis. Après tout, il a bien fallu plus d’une décennie pour que L’Heure Tranquille décolle. Avec des paradoxes : la direction est aussi fière d’avoir récemment obtenu un label environnemental que d’accueillir Primark… l’une des enseignes les plus critiquées pour son impact écologique. « Qui sommes-nous pour juger ? » répond simplement Apsys quand on évoque le sujet. Le sous-texte est clair. D’ailleurs, même la mairie écologiste avait œuvré pour l’installation d’une telle marque. Une municipalité qui semble en bons termes avec la direction :
« On travaille main dans la main, notre offre est complémentaire à celle du centre-ville » Et même si ce n’est pas directement L’Heure Tranquille, elle prochainement s’enrichir juste en face avec l’arrivée des commerces de proximité voulus par la ville (boulangerie, fleuriste, primeur, bar-brasserie). Après l’échec d’un marché, le quartier compte beaucoup sur ce nouveau projet. Nul doute que les centres de la périphérie observent tout cela avec une grande attention et chercheront à répliquer.






