C’est sans doute le plus grand garage de l’agglomération tourangelle. A l’Est de Tours, près de la Vallée du Cher et du Marché de Gros, le dépôt de bus Fil Bleu de St-Pierre-des-Corps sert de parking et de centre de maintenance aux 160 véhicules du réseau géré par Keolis. Inauguré en 1978, rénové en 2018, il s’adapte continuellement aux nouvelles technologies. Visite guidée d’un site essentiel pour la bonne marche des transports en commun.
Dans les stations-service situées au bord des routes ou près des supermarchés, le métier de pompiste est porté disparu. Au pire, on trouve une personne chargée de l’encaissement des pleins. En revanche, il en faut encore pour remplir les réservoirs des bus Fil Bleu quand ils rentrent au dépôt après leur service. Mesurant 12 ou 18m, les véhicules sont particulièrement gourmands en carburant : en moyenne 48l pour 100km, jusqu’à 52l pour les bus articulés. « Le stop and go permanent consomme beaucoup, au ralenti on peut atteindre 75l aux 100 » nous glisse Filipe Ferreira, le directeur maintenance patrimoniale de Keolis, l’entreprise qui gère le réseau de transport tourangeau pour le compte de Tours Métropole.
Pour faire face à ces besoins, le réassort des cuves se fait trois fois par semaine. Pas moins de 30 000l à chaque rechargement, « sauf en été » nous précise-t-on. Et même si Fil Bleu paie le diesel moins cher que le prix public à la pompe, la facture – confidentielle – demeure astronomique. Ainsi, tout est bon pour faire des économies. Par exemple, depuis début 2023, un additif est ajouté dans les réservoirs « ce qui améliore la lubrification du moteur ». Résultat : -2% de consommation. Soit 1 800l par semaine. « Et en plus mécaniquement cela protège le moteur » ajoute Filipe Ferreira.
L’autre option, c’est le changement de technologie. Ces derniers mois, des bus au gaz naturel ont donc rejoint le parc Fil Bleu. 45 modèles de marque Scania qui se rechargent sur une station spéciale, à l’écart de la pompe à essence des autres véhicules. « Au plus rapide ils peuvent se recharger en 10 minutes, et au maximum il faut 2h » détaille le directeur de la maintenance. Du gaz acquis auprès d’Engie mais, dans le même temps, Tours Métropole revend à l’opérateur du gaz issu du traitement de ses déchets. « Et on en produit plus que ce qu’on consomme » précise Christophe Boulanger, élu municipal et métropolitain en charge des questions de mobilité.
Satisfait de son choix, le Syndicat des Mobilités de Touraine va donc étendre son parc de bus au gaz. 11 unités doivent être acquises en 2025 auprès d’un constructeur qui reste encore à déterminer après appel d’offre. Pourquoi le gaz plutôt que l’électrique, privilégié par la plupart des grands réseaux (comme Orléans, qui va progressivement passer au 100% électrique). « L’électrique n’est pas abordable. C’est 700 00€ par exemplaire contre 350 000 pour le gaz, et il faut changer la batterie au bout de 8 à 10 ans. Au final, le coût de l’électrique c’est 20% de plus » précise Christophe Boulanger.
Problème : la loi pourrait prochainement empêcher les collectivités de recourir à cette technologie. D’ici 3 ans, Tours Métropole devra donc se reposer des questions. Electrique, hydrogène… Toutes les options seront à l’étude. Même la recharge en ligne ou le trolley bus, avec des caténaires. Il y a peu de villes qui ont fait ce choix « mais aucune n’a fait marche arrière » souligne l’élu qui regarde donc de près les modèles de Lyon, Saint-Etienne, Limoges ou Nancy.
Au-delà du carburant utilisé pour faire rouler les bus, la recherche d’économies passe aussi par l’entretien quotidien du matériel. A Tours, l’objectif est de faire durer chaque modèle pendant environ 18 ans et de leur faire parcourir 1 million de kilomètres, un choix présenté comme assez singulier par rapport à d’autres agglomérations. Ainsi, les vieux VanHool sont en ligne depuis 17 ans et approchent de ce fameux seuil du million de kilomètres parcourus. « Exceptionnel mais vertueux » avance Filipe Ferreira. C’est notamment eux qui seront bientôt « réformés » au profit des futurs bus au gaz
S’ils ont tenu si longtemps, c’est grâce à un process assez spécifique, similaire à celui employé pour les rames de tramway. A la moitié de leur vie, les bus sont immobilisés pendant un mois pour une rénovation XXL. En ce moment, 44 véhicules bénéficient de ce programme : 28 bus standards Scania et 16 modèles articulés. Ils passent 2 semaines en atelier pour la mécanique, et deux semaines pour la réfection complète de leur esthétique. Par exemple, les sièges sont retirés, renvoyés au fabricant d’où ils reviennent avec des housses neuve. Seule la structure plastique reste identique.
En parallèle, les véhicules sont repeints. C’est pour ça que l’on voit de plus en plus de bus vert-noir-gris et que les modèles bleu foncé ont tendance à se raréfier dans les rues tourangelles.
Pour mener cette opération à bien, Fil Bleu a spécialement réalisé 5 embauches, donc un ancien conducteur avec formation de mécanicien. Et au total, ce sont une trentaine de personnes qui travaillent au centre de maintenance de St-Pierre-des-Corps. Leurs spécialités sont multiples, de l’entretien courant à la dépollution des véhicules prêts à partir à la casse. Quand on se promène dans les bâtiments, on découvre par exemple un magasin de pièces avec des casiers de couleurs selon les marques mais surtout un grand mur recouvert de rétroviseurs. « On en a pour toutes les marques, et parfois on utilise les pièces d’un modèle pour en réparer un autre » glisse la responsable communication Magali Morin.
Des rétros qui ont néanmoins tendance à se raréfier depuis l’instauration d’un système de caméras pour assister le personnel de conduite. Ce dispositif numérique doit améliorer la visibilité des angles morts et diminue le risque de collision lors des manœuvres. Savoir qu’en cas de bug, il demeure possible de remettre des ustensiles traditionnels pour éviter une immobilisation du bus. Idem pour les rampes électriques dédiées aux fauteuils roulants, souvent en panne. « Désormais on achète que des modèles avec des outils manuels » précise Christophe Boulanger.
Si Fil Bleu possède 160 bus – + ceux insérés sur le réseau via des sous-traitants – on n’en compte jamais plus de 138 dans les rues en simultané. Cela veut dire qu’il y a toujours une vingtaine de véhicules au dépôt corpopétrussien pour des opérations de maintenance, ou pour servir de réserve en cas de panne. Depuis peu, tous sont équipés d’un outil de mesure qui anticipe les soucis potentiels. « On est capable, par exemple, de savoir que dans xxx kilomètres il faudra changer des plaquettes de freins » dévoile Filipe Ferreira.
Une autre technique consiste à envoyer un même véhicule sur des lignes différentes. Par exemple des trajets suburbains où ils peuvent accélérer davantage, comparé aux lignes fortes où les moteurs sont très sollicités par des arrêts et démarrages incessants.
Il s’agit enfin d’avoir un outil de travail sans cesse plus performant. Construit il y a près de 50 ans, le centre de maintenance exploité par Keolis a été rénové en 2018 (ajout d’éclairage LED et réfection de l’enrobé routier) mais de nouveaux besoins se font sentir. 5 à 6 millions d’€ seront donc investis dans les prochaines années par le Syndicat des Mobilités de Touraine qui en est propriétaire. Il s’agira de construire un nouveau bâtiment de maintenance mais aussi, dès 2025, de changer la machine à laver qui date de 1987. Ce chantier à 600 000€ permettra de créer un circuit fermé pour l’eau. Il faudra toujours 250l pour un lavage mais 225 proviendront du recyclage.