Plus de 35% des voix dans la 2e et la 5e circonscription… Plus de 30% dans la 3e et la 4e… Presque 20% à Tours… En Indre-et-Loire, le Rassemblement National est à un niveau inédit pour les élections législatives anticipées provoquées par Emmanuel Macron. Pourtant, sa présence terrain ou médiatique est bien en deçà de celles des autres grands partis.
Lorsqu’on est allé rencontrer les équipes du Rassemblement National au marché Rabelais de Tours dimanche 23 juin, les militantes et militants étaient venus en nombre pour soutenir la candidate de la 1ère circonscription Lisa Garbay. L’étudiante nous indiquait alors que le mouvement pouvait compter sur une grosse centaine de personnes dans le département, avec une dynamique orientée à la hausse depuis les Européennes.
De fait, ces dernières années, le Rassemblement National a régulièrement tracté sur les marchés de la ville de Tours. Une présence permettant de constater que la physionomie de ses troupes est assez hétéroclite : soit des jeunes, soit des personnes au-delà de 50 ans. Entre les deux, peu de monde. Les équipes le reconnaissent elles-mêmes. Etonnant, alors que ce sont précisément les 35-60 ans qui disent voter le plus pour Jordan Bardella, Marine Le Pen et consorts.
Des forces militantes également volages. Y compris quand il s’agit de se présenter aux élections. Ainsi, rares sont les figures RN durablement implantées dans le débat public local à l’inverse des forces de gauche, du centre ou de droite.
Vu ces éléments, difficile de constituer un noyau pour arpenter le terrain et convaincre. Cela dit, ce qui serait un problème pour beaucoup de partis ne l’est pas trop pour le RN qui parvient à faire des scores insolents sans vraiment faire campagne, ou en investissant des personnalités aux profils détonants. Et si le responsable départemental actuel François Ducamp a plutôt tendance à mouiller sa chemise en multipliant les sorties sur la 5e circonscription (avec même un rare meeting organisé ce jeudi 4 juillet à St-Cyr-sur-Loire) on ne peut pas vraiment en dire autant de ses collègues qualifiés au second tour sur les 2e, 3e et 4e circonscriptions.
Un exemple : nous avons voulu contacter Corine Fougeron qui affronte Daniel Labaronne sur le secteur d’Amboise / Vouvray / Château-Renault. On attend toujours sa réponse. Elue à Nazelles-Négron, elle semble également briller par son absence sur le terrain. Une dame croisée à Montlouis semble même étonnée : « Ah bon ? Ce n’est pas un homme qui se présente ici pour le RN ? »
« J’aurais aimé débattre avec elle mais elle a refusé » déplore son concurrent macroniste Daniel Labaronne, qui tracte sur le marché. Et même si elle a collé quelques affiches avec sa photo et celle de son suppléant (ce qui est assez rare pour le parti préférant mettre en avant ses figures nationales), sur le terrain « il n’y a pas de son, pas d’image » singe le député sortant qui dénonce un comportement « pas respectueux » de son adversaire soupçonnant « une stratégie » pour éviter des bourdes.
La question n’est pas si incongrue. La candidate de l’extrême droite a bien fait quelques marchés avant le premier tour, comme l’attestent ses réseaux sociaux. Mais depuis, rideau. En début de semaine, Corine Fougeron a planté nos confrères de France Bleu Touraine qui voulaient organiser un débat radio avec Daniel Labaronne. 4 candidats RN du Loiret ont également fait faux bond aux sollicitations de la station publique, et plusieurs autres en France. De son côté, La Nouvelle République a publiquement déploré l’absence de réponses de la part du candidat du Lochois Jules Robin (issu du parti d’Eric Ciotti, et soutenu par le RN) tandis que celui du Chinonais Jean-François Bellanger refusait de répondre au journal sur le fond des sujets.
A la place, le parti privilégie la communication léchée produite par ses instances nationales pour les réseaux sociaux, au point d’inspirer Daniel Labaronne. Quand on lui demande pourquoi il n’a pas réussi à virer en tête malgré sa présence terrain sur l’Amboisie (« J’ai été plus de 200 fois à Château-Renault depuis 7 ans »), il répond que cela peut en partie être lié à une présence moindre sur les réseaux sociaux fréquentés par la jeunesse, s’avouant un peu « désarmé ». Ainsi, « dès le 8 juillet, je serai sur TikTok » promet-il (s’il est réélu).
C’est clairement une des forces du RN ces dernières années : réussir à rassembler rien que par son étiquette, peu importe la discrétion de ses figures locales, voire leurs frasques (propos haineux, candidat théoriquement inéligible dans le Jura, photos à connotation nazie dans le Calvados ou participation à des groupuscules identitaires). Il faut dire que malgré la dénonciation publique de ces dérapages, il n’est même pas sûr que les sympathisants du parti y aient accès, s’informant via des canaux qui ignorent souvent ces informations.
« On peut toujours trouver des brebis galeuses, je ne dis pas que le RN n’a pas une part de fachos dans ses rangs, mais il s’est républicanisé et le tri a été fait » nous explique ainsi Benjamin, un électeur RN sur la 2e circonscription. « J’ai l’impression que la gauche ne parle qu’aux urbains, quand on est dans les campagnes il n’y a qu’eux qui semblent entendre nos difficultés. Je ne dis pas qu’ils ont la solution miracle mais les autres n’ont pas fait grand-chose pour nous » tonne encore notre interlocuteur, qui explique par ailleurs « ne pas croire à un danger pour la démocratie », si le parti d’extrême-droite arrivait au pouvoir. « Ce sera certainement plus rigide comme pouvoir, mais on en a peut-être besoin aussi. »
Le front républicain tant loué apparait alors bien illusoire, voire comme une déconnexion supplémentaire vis-à-vis de cette frange de la population qui ne jure plus que par l’extrême droite, car plus personne d’autre ne parvient à lui parler. L’Indre-et-Loire n’échappe pas à la règle : le 30 juin, comme le 9, plusieurs communes comme Jaulnay et Courcelles-de-Touraine ont placé le camp Bardella à plus de 50%.
Olivier Collet et Mathieu Giua