Depuis de longues années le festival Terres du Son s’attache à soigner l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap. Cela a commencé avec des plateformes surélevées pour regarder les concerts ou la multiplication des chemins sécurisés pour les fauteuils roulants puis il y a eu des dispositifs pour les personnes sourdes ou malentendantes sans oublier l’accueil de personnes avec handicap dans les installations, comme L’Oasis des Rencontres cette année (un nouveau bar de l’éco-village). Autre innovation : la possibilité de suivre des concerts en audiodescription.
Je suis malvoyant. Cataracte, strabisme, nystagmus, glaucome : ce cocktail fait que je la qualité de ma vision ne dépasse pas 2/10 avec des lunettes. Suffisant pour lire un livre ou me déplacer dans l’espace mais pas assez pour passer le permis de conduire ou déterminer la couleur des yeux des personnes avec qui je parle. Dans mon métier de journaliste, cela peut être handicapant : des difficultés pour reconnaître des gens que je croise, pour suivre une rencontre sportive ou pour appréhender tout le jeu scénique d’un concert.
Terres du Son a pensé à moi cette année. Le festival du Domaine de Candé a eu l’idée de proposer des concerts en audiodescription, donc des prestations d’artistes que je peux regarder avec une assistance audio pour mieux comprendre ce qui se passe sur scène.
Le procédé est bien connu pour la télévision : de nombreux films sont ainsi audiodécrits, et rendus accessibles aux personnes mal et non voyantes. En plus des dialogues, on nous dit comment sont habillés les personnages, ou comment ils se déplacent dans l’espace. Je l’utilise rarement mais je reconnais l’utilité du procédé et j’avais très envie de voir ce que ça pouvait donner pour un live musical.

Si je profite allègrement de Terres du Son chaque année, je suis souvent frustré. A moins d’être tout devant, difficile d’appréhender les déplacements des artistes, ou le jeu des musiciens. Même avec les grands écrans installés ces dernières années sur la scène Ginkgo Biloba je rate énormément de choses. Je profite du son, mais pas de la prestation intégrale.
Là, j’ai un espoir de ne plus me sentir exclu. Le système est bien pensé et fruit d’un partenariat avec l’opérateur Orange. A tour de rôle, trois personnes vont commenter les concerts depuis les régies des grandes scènes. Au total 22 prestations sur les trois jours du festival. Il s’agit de pros qui travaillent pour le cinéma, mais aussi le théâtre ou des concerts en salle « mais c’est la première fois que je fais ça dans un festival » nous explique l’un d’eux. Pour Terres du Son aussi, c’est un test.
Pour profiter du service, il suffit d’un téléphone portable et d’écouteurs, ou d’un casque. C’est gratuit. On se connecte ensuite à un lien via un réseau wifi dédié. Des QR Code permettent d’y accéder sur la tente Orange de la Prairie (près de la Croix Rouge) ou au niveau des plateformes PMR. On peut aussi faire l’expérience de lancer le programme avec le réseau classique pour bouger sur le site mais c’est plus aléatoire (on a subi des moments de coupures).

Verdict : je pensais que suivre un concert avec un casque serait pénible. Eh bien pas tant, ça équivaut à mettre des bouchons d’oreilles et isole du son quand il est fort. Les commentaires sont brefs, idéalement concentrés entre les chansons pour ne pas perturber le show. On nous décrit les déplacements, les positions des artistes, leurs tenues ou ce qu’il y a dans les écrans du fond de scène le cas échéant. « Des fumées jaillissent », « Adèle Castillon monte sur scène », « Bigflo et Oli se chèckent », « Le public saute » font partie des choses que j’entends. Et même si moi je les vois, cela permet de relancer mon attention dessus.
Le hic : parfois c’est délicat de comprendre quand le son est trop fort : la voix se mêle à la musique. On entend mieux au moment des interludes mais l’espace-temps est limité. Un interstice à saisir pour les équipes qui préparent un peu leur prestation, mais dont l’essentiel consiste à retranscrire l’émotion de l’instant. « Je prends quelques informations avant mais les artistes improvisent beaucoup en festival » nous explique l’audiodescripteur de Bigflo et Oli qui a objectivement assuré. C’est plus compliqué avec les concerts sans scénographie très développée, et pour les DJ les propos sont essentiellement concentrés sur le jeu de lumière ou les vidéos.
Au final, le procédé n’est évidemment pas aussi confortable qu’une personne qui décrirait le concert directement dans l’oreille au fil des chansons mais il permet de saisir un peu mieux ce qui se passe. En particulier pour celles et ceux qui ne verraient pas du tout, ou encore plus mal que moi. Une initiative à saluer et qui mérite d’être prolongée.