Du Havre au Pont Wilson via Alger : le parcours de Marie Dubois, l’artiste du pavoisement pour 2020

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Chaque été la ville de Tours transforme le Pont Wilson en une galerie d’art à ciel ouvert, avec des drapeaux aux visuels constamment mis à jour. Ces dernières années, ce sont de jeunes artistes qui ont pu y présenter leur travail. 2020 n’échappe pas à la règle avec un pavoisement mettant en avant les villes jumelles et amies de Tours via des réalisations de Marie Dubois, 26 ans, issue de l’Ecole des Beaux-Arts de la ville. Nous l’avons rencontrée.

Marie Dubois se souvient très bien de sa première venue à Tours, quand elle cherchait un appartement pour ses études. Originaire du Havre, ville « pas fun où tout était en train de fermer pour la jeunesse », elle débarque Place Plume avec ses parents : « On s’est posé quelques secondes en se demandant d’où venait le bourdonnement que l’on entendait. On pensait que c’était un nid de quelque chose mais non, c’étaient juste les gens dans la rue. Ici il y a vraiment de la vie, un climat plus doux… C’est chouette, j’ai tout de suite été conquise. » Tout de même, elle retourne ponctuellement en Normandie : « Je n’ai jamais autant aimé Le Havre depuis que je n’y habite plus. La mer, les bâtiments… C’est incroyable. »

Le bac L en poche (avec option arts plastiques enseignée « pas une super prof avec qui je suis encore en contact »), l’étudiante entre aux Beaux-Arts juste avant que l’école quitte l’hyper centre de Tours pour déménager vers l’ancienne imprimerie Mame. Nous sommes en 2012. A ce moment-là, Marie Dubois se voit bien restauratrice d’œuvres d’art, et plus précisément d’œuvres récentes : « Je me suis initiée à l’art contemporain au centre d’art Le Portique du Havre où j’ai pris conscience que ces réalisations (peintures, résine, métaux) auraient besoin de restauration d’ici quelques années. » En fait, elle n’a pas poursuivi dans cette voie au profit de la création. Une déviation qui n’est pas une première dans son chemin de vie puisque la jeune femme a également rêvé d’être archéologue et envisagé d’être journaliste avant de rejoindre le milieu artistique. Aujourd’hui, en parallèle de ses activités, elle est ouvreuse au Théâtre Olympia de Tours ou monitrice de colonie de vacances. Parce que c’est difficile de vivre de ses œuvres…

Une exposition à Mulhouse et une résidence en Algérie

« J’ai toujours eu un côté très minutieux et le souci du détail » raconte Marie Dubois, rapidement bousculée par les méthodes de l’ESBAT : « Dès les premières années on prend conscience qu’il faut se débrouiller seule, au fil du temps il y a moins de cours au profit de séances individuelles. C’est très formateur même si ce n’est pas toujours évident de faire des choses qui viennent du cœur et de se faire anéantir en se prenant de grosses piques. Ça m’a appris à défendre mon travail, à savoir recevoir les critiques et échanger avec les autres. »



L’artiste a obtenu son diplôme en 2017. Depuis, « j’ai eu de la chance, j’ai toujours eu quelque chose de prévu. » Elle a été assistante de Massinissa Selmani (un artiste qui travaille via le calque et s’inspire de l’actualité) avant d’entrer en résidence chez Mode d’Emploi à l’Octroi de Tours puis de participer à la biennale de Mulhouse. Néanmoins, son grand projet ce fut une résidence courte mais intense à Alger, la capitale algérienne (par ailleurs pays d’origine de Massimissa Selmani qui lui a conseillé de postuler). Marie Dubois se retrouve aux Ateliers Sauvages, lieu fondé par une ancienne avocate de 80 ans devenue écrivaine et impliquée dans la défense des droits des femmes auprès de l’UNESCO : Wassyla Tamzali. A ses côtés, la néo-Tourangelle entame un projet baptisé « Au croisement des poussières » :

« Ce titre fait référence aux poussières du Sahara qui migrent dans deux directions. D’un côté elles font 6 000km jusqu’en Amazonie où elles fertilisent les terres et c’est pour ça que cette région est si verte, grâce aux minéraux du désert. Ces poussières remontent aussi chez nous, et jusqu’en Scandinavie. C’est un phénomène que je ne connaissais pas et qui m’a passionnée. Par ailleurs, la poussière est partout à Alger, une ville perpétuellement en chantier depuis 2001 et le début de grands travaux de rénovation. On en parle beaucoup dans la littérature : c’est un personnage à part, récurrent, et ça me semblait un point intéressant à aborder. »

De ce travail naîtront plusieurs œuvres encore en cours d’évolution dont une tente berbère reconstituée à partir de la bâche d’un échafaudage, découpée de la devanture d’un immeuble grâce à l’aide de policiers. Pleine de poussière, Marie Dubois se refuse à la laver. Elle a également fabriqué des « boîtes à poussière » capables de reconstituer le mouvement de la poussière qui se soulève du sol à l’aide… d’un ventilateur d’ordinateur. Hasard du calendrier, l’artiste a achevé sa résidence en février 2019, au moment du premier soulèvement de la jeunesse contre le pouvoir hégémonique du président Abdelaziz Bouteflika (qui a démissionné sous la pression de la rue).

Un travail autour de la poussière et des migrations

Vraiment un hasard ? Depuis longtemps Marie Dubois est connectée à l’actualité : « A 7 ans j’ai été très marquée par les attentats du 11 septembre 2001, j’étais fascinée par les images de ces tours qui tournaient en boucle pendant des semaines sans vraiment comprendre ce qu’il se passait (elle avait 7 ans, ndlr). » Une fois aux Beaux-Arts à Tours, elle oriente rapidement son travail vers les photos de presse qu’elle découpe (en gardant leur légende) puis classe selon 25 thèmes assez arbitraires (bras en l’air, pas de bras en l’air, véhicule, écrans…) :

« Il y a beaucoup d’images de foules avec un détail qui se détache. Cela permet de redonner du temps à ces images qu’on finit par ne plus regarder parce qu’elles se perdent dans un flux d’informations. »

Parfois, elle laisse le public de ses expos fouiller dans les cartons pour voir ce qu’il en ressort : « A Mulhouse un enfant a pris une image d’un entraînement des hommes du Raid près du Stade de France et il a demandé pourquoi le monsieur avait un pistolet à colle géant. J’ai répondu en disant que c’était pour décoller et recoller les affiches, et qu’il portait une cagoule parce qu’on était en hiver. Ça a permis de développer un imaginaire innocent. » Avec des images de journaux, ; Marie Dubois a aussi créé une fresque de 7m formant un paysage « apocalyptique ». En le découvrant, une écrivaine lui parle de ces poussières qui s’envolent des sols de la Syrie et de l’Irak, pays en guerre que leurs populations fuient en direction de camps installés au Liban. C’est aussi au Liban que ces poussières retombent : « Les réfugiés se retrouvent sous les poussières de leurs propres ruines » assène l’artiste.




Des drapeaux pour toutes les villes jumelles et amies de Tours

Cette prise de conscience donne le ton de son travail à venir : « J’ai commencé à m’intéresser à la migration de la poussière, comment la poussière d’un pays pouvait fertiliser la terre d’un autre. C’est une manière d’évoquer la migration des gens, comment une personne va apporter toute sa culture et ses coutumes lorsqu’elle s’établit dans un autre pays. » Malgré ce thème fort, personne ne vient au vernissage algérois de Marie Dubois pour cause de capitale en proie aux manifestations. Peu importe, elle ne se décourage pas et persévère continuant de faire avancer ce projet depuis la France. Et puis le coronavirus a surgi. Confinée à La Riche, la jeune femme apprend que la ville de Tours a choisi le thème du jumelage pour le pavoisement 2020 du Pont Wilson. Elle ressort des cartons un projet datant de 2018, déjà proposé à la mairie (qui avait préféré celui de son amie Alexandra Riss). Cette fois elle est choisie et peut mettre à profit les journées sans sorties pour travailler sur ses drapeaux.

Depuis sa chambre-atelier larichoise, Marie Dubois réutilise une technique éprouvée : elle picore des photos de presse dans les journaux locaux de toutes les villes jumelles ou amies de Tours (Takamatsu au Japon, Ségovie en Espagne, Parme en Italie, Trois Rivières au Québec, Minneapolis aux Etats-Unis, Marrakech au Maroc… Agrandies et retouchées, elles prennent place sur des drapeaux où l’on peut également lire le nom des cités et leur nombre d’habitants :

« Je me suis rendue compte que beaucoup de personnes ne savaient pas avec qui Tours était jumelée. Ce n’est que récemment quand on a parlé de la mort de George Floyd que j’ai découvert qu’il existait une association Tours-Minneapolis (la ville où l’afro-américain a été tué lors de son interpellation par la police, ndlr). »




Les 32 drapeaux de l’artiste seront à découvrir dès ce lundi 22 juin et jusqu’en octobre sur le Pont Wilson.  


Un degré en plus :

Le site de Marie Dubois d’où sont extraites certaines illustrations de cet article. www.marie-dubois.com

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