A Tours, un artiste exploite l’IA pour sa musique et ses tableaux

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Depuis environ deux ans, l’essor de Chat GPT et des intelligences artificielles suscite autant la fascination que l’inquiétude. On s’émerveille du temps gagné pour rédiger la synthèse d’un rapport mais on se préoccupe des deep fake, ces fausses vidéos qui détournent l’image de personnalités pour leur faire dire n’importe quoi. Utilisée dans l’architecture, la pub ou l’administration, l’IA prend de plus en plus de place dans notre quotidien et nos discussions. Jusqu’à s’inviter dans le monde de l’art.

« Artistes qui utilisent l’IA » : une petite recherche suffit et ce sont des dizaines de noms qui apparaissent. Rien d’illogique : l’art a toujours su exploiter la technologie. Deux fonctions sont exploitées : accélérer des tâches chronophages et stimuler le processus de créativité. Des réalisations possibles via une multitude de programmes, dont certains en accès libre, et à la prise en main facile. Cependant, le recours à ces outils pose de nombreuses questions pratiques et éthiques que l’artiste tourangeau Charli NC (également connu sous le nom de Tango dans l’univers de la musique, ou @pendant_ce_temps_a_tours pour la photo sur Instagram) a voulu illustrer dans son travail.

« J’ai commencé la musique quand j’étais ado, il y a environ 20 ans » nous explique le trentenaire qui a une formation initiale d’opticien et travaille depuis 3 ans dans une boutique de la Rue de la Scellerie, à Tours. S’il maîtrise un peu la guitare, son outil principal c’est le clavier et l’ordinateur. « Je me suis inscrit sur une plateforme suisse qui permet aux indépendants de distribuer leur musique et j’ai vendu un morceau à une boîte de production hollandaise pour un film. Plusieurs années après, je rouvre ma page et je vois que j’ai dépassé le million d’écoute et les 100 000 téléchargements d’albums » se souvient-il.

Ce 1er succès lui a servi de carte de visite pour signer chez le label Believe où il a sorti deux albums « classiques », réalisés de ses mains avec des logiciels informatiques, avant de leur proposer un opus réalisé à partir d’une intelligence artificielle. « Je suis un gros geek autodidacte, je touche beaucoup de choses, je cours après le temps » décrit Charli / Tango pour expliquer sa démarche, toujours avec un pas de côté et un aspect original (il s’apprête prochainement à publier un album puzzle aux morceaux disséminés un peu partout sur Internet).

Le résultat c’est une vingtaine de titres avec de la guitare, du piano, et de la voix, tantôt robotique ou avec un timbre qui pourrait s’approcher de l’accent typique des Québécois. En n’y prêtant pas grande attention, c’est potentiellement entraînant. Dans l’esprit chanson française, un peu folk. Si Tango a écrit la plupart des textes, la partie musicale, les rythmes et la mélodie sont générés par un programme spécifique, développé « par un ami physicien qui travaille dans la cybersécurité ». Non accessible au grand public, il est en phase de test ce qui peut expliquer le résultat étrange du dernier titre d’Artificiel :

« Je lui ai demandé de répéter 1 000 fois le mot ‘artificiel’ en musique. Au bout d’un moment, l’IA a changé de ton et s’est mise à crier comme si elle en avait marre. D’un coup elle s’arrête et prononce des choses que je ne lui ai pas demandées en anglais, comme ‘Je suis coincée dans mon cœur’. Si c’est un bug c’est parfait, je voulais que l’album se termine comme ça. »

Avec ce projet, Charli NC n’amorce pas un virage dans sa manière de créer de la musique. Son objectif est de questionner les usages de l’IA à la racine, en exploitant la matière première. Ainsi, si l’on écoute Artificiel dans l’ordre, le premier titre explique clairement que l’on a affaire à des créations artificielles. Et « plus on avance, puis cela commence à raconter des choses étranges ». Il y a ainsi une linéarité, « une forme de poésie » nous dit l’artiste. On est donc bien face à une œuvre pensée, pas simplement un enchaînement de musiques générées par une commande suffisamment précise pour obtenir un résultat faisant illusion.

Quand on lui demande pourquoi il s’est lancé dans ce projet, Tango reconnait bien volontiers qu’il a voulu faire « une blague », voir si un label était prêt à lui signer ce genre de création. La réponse est donc oui. « Il y a un aspect pied de nez : j’ai réussi mon coup » fanfaronne-t-il… tout en se disant bien conscient des enjeux. Par exemple si les titres sont disséqués et balancés indépendamment sur Internet ou en radio, sans l’avertissement préalable.

« Effectivement il est possible que certaines personnes écoutent mes morceaux sans percevoir le message » reconnait-il, ajoutant ne pas souhaiter « qu’une IA comme ça voit le jour » : « Pour moi, il faut que ce qui a été réalisé par une intelligence artificielle reste identifiable. A partir du moment où on n’arrivera plus à le faire, il y aura un potentiel danger. » De fait, Tango concède qu’il nourrit un monstre déjà protéiforme. « Il est possible que certaines choses soient déjà faites par IA sans qu’on le sache. Je sais le risque, mais je le fais quand même par test. »

Ce qu’il promeut donc, c’est la nécessité d’une réflexion sur les conséquences de l’IA dans notre quotidien. Et la vigilance permanente face à ce qu’on nous présente. Ne pas tout prendre pour argent comptant. Ainsi, « l’IA je le prends vraiment comme un outil. Certes, aujourd’hui tout le monde peut s’en servir pour faire de la musique mais il faut quand même que ce soit cohérent. C’est là que je suis intervenu : pour apporter une certaine structure. J’ai réussi à manipuler l’IA pour qu’elle s’auto-dénonce. » Et là, on a en quelque sorte la définition d’un geste artistique.

En parallèle, Charli NC se sert de l’intelligence artificielle pour ses tableaux. Des œuvres qu’il a récemment exposées au nouveau bar La Tavernette, Rue Colbert à Tours, ou qu’il présente sur ses réseaux sociaux. C’est un art abstrait, figuratif, qui utilise par exemple les codes de l’illusion d’optique. Ce coup-ci, l’IA n’est bien qu’un outil. « Par exemple, je vais demander à générer une image de tonneau et je vais redessiner par-dessus. »

Mais pourquoi ne pas utiliser la photo libre de droits d’un tonneau comme on peut en trouver pléthore sur Internet ? « Parce que celui-ci m’appartient. Il sera vraiment unique » répond l’artiste qui s’amuse souvent à demander au public de déterminer si des images ont été créées avec ou sans IA. Un jeu né de remarques sur des œuvres manuelles perçues comme générées automatiquement alors qu’il s’agissait de collages ou de superpositions d’images, certes conçues pour « tromper le cerveau » mais pas plus.

« Cela permet d’avertir les personnes autour de moi. Il ne faudrait pas que ça devienne un monde entièrement sous IA » plaide Charli NC. Et de conclure : « Moi, si l’IA disparait, je saurais toujours dessiner ».

Propos recueillis avec Hugo Janniere.

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