Second tour de piste pour les disquaires tourangeaux

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On les pensait disparus, écrasés par la concurrence des grands distributeurs et la popularité du dématérialisé, ceux-ci connaissent un nouveau succès. La raison : un enthousiasme pour les vinyles.

De loin, la devanture est discrète. Une façade en gris plaqué surmontée d’une inscription jaune : « Madison ». Puis, les présentoirs de vinyles installés le long de la rue Colbert interpellent, comme une invitation à entrer dans un univers musical. Une fois à l’intérieur, le curieux se retrouvera en face d’une multitude d’albums, vinyles pour la plupart. Une partie d’entre eux se trouve dans des cartons à même le sol, la faute à un manque de place. Aussi l’espace est minutieusement utilisé. Les pochettes accrochent le regard.  Ici, une collection représente Léo Ferret, là une série dédiée aux Pink Floyd, à David Bowie ou encore à Genesis. Il y en aurait pour des heures pour tout décompter. À côté de la caisse enregistreuse, des CD sont également présents. On y trouve davantage de variété : de Renaud à Angèle ou encore le dernier album de Johnny Hallyday. Au milieu de tout cela, Bertrand Ponsignon, le propriétaire de la boutique. Cela fait plus de dix ans qu’il est vendeur à Tours. Il l’assure « depuis 6-7 ans, les vinyles sont à nouveaux prisés.»

La boutique le Madison et son propriétaire, Bertrand Ponsignon
La boutique le Madison et son propriétaire, Bertrand Ponsignon
Le Madison, une fois à l’intérieur
Le Madison, une fois à l’intérieur

Un retour en force

Une affirmation que partage Didier Delage. Lui aussi disquaire avec plus de 21 ans d’ancienneté. C’est dans la rue du petit Martin que l’on peut le retrouver, lui et son Baromètre Corner. Sa boutique est, elle aussi, pleine à craquer. Mais pour pouvoir y accéder, il faudra passer le mercredi  ou le samedi après-midi sous peine de se retrouver devant la porte avec l’inscription « fermé ». Le reste du temps, il le passe à vendre son stock, soit en ligne soit sur les salons dédiés. Quand on lui demande si lui aussi connaît un engouement depuis peu, il est sans équivoque. « S’il y a une date à retenir, c’est septembre 2015. Avant, je vendais davantage de CD. Puis d’un coup, il y a eu une énorme demande. En très peu de temps, j’ai dû ajouter davantage de vinyles pour qu’ils atteignent 90% de mon stock ».

Didier Delage s’occupe du baromètre Corner depuis plus de 21 ans
Didier Delage s’occupe du baromètre Corner depuis plus de 21 ans

Comme une preuve matérielle de ce retour en force : à quelques mètres de là, dans la rue du Grand Marché, une autre boutique a ouvert il y a un an et quelques mois, le Vertigo. Ici, le magasin est divisé en deux parties. Sur la gauche, les présentoirs de vinyles et de CD. Ils font face aux tableaux provenant d’artistes locaux. Bien que le magasin soit récent, l’histoire d’amour que Malek Benchebena, son propriétaire, entretient avec le support l’est beaucoup moins.  « Je suis passionné depuis longtemps. À un moment, je me suis dit pourquoi pas me lancer » confie-t-il.

Malek Benchebena a ouvert sa boutique le Vertigo il y a un an et demi
Malek Benchebena a ouvert sa boutique le Vertigo il y a un an et demi

Ces trois disquaires profitent, chacun à leur manière, du retour en grâce de l’objet. Sur ce point, le propriétaire du Madison est catégorique « Un vinyle, ça sort de l’ordinaire et ça se voit ». Une ferveur qui parvient à se maintenir face à la concurrence des services de musique à la demande. Avec des ventes estimées à 21 millions d’euros au premier trimestre 2018, les revenus générés par le vinyle ont pratiquement doublé en l’espace d’un an selon le Syndicat National de l’Édition Phonographique. Un chiffre qui comprenait 23% des ventes produites par le support physique en France la même période (contre 12% en 2017). «Le streaming c’est bien mais les gens aiment bien avoir un bel objet. On y porte plus d’attention, on prend le temps de l’écouter. Ce n’est pas du zapping» pour le patron du Vertigo. Le support permet justement d’avoir une représentation physique que n’ont pas les services en ligne. De nombreux aficionados sont intéressés par l’aspect collection. Pour Didier Delage, on peut ranger les clients en deux catégories. « Il y a ceux qui achètent un vinyle pour l’écouter ensuite et ceux qui ne les sortent pas de la pochette. » Si l’objet est associé à l’histoire de la musique, il possède son propre récit avec ses pépites. « Parfois j’ai des personnes qui m’appellent pour me demander telle ou telle réédition précise de tel album. » Affirme notre interlocuteur.

Une mode extrêmement changeante

Une histoire qui continue de se créer au fur et à mesure des tendances. Bien que son retour soit relativement récent, la mode change déjà. « La tendance varie extrêmement vite, c’est un marché de cinglé. Aujourd’hui, c’est la folie du disque couleur, demain ça sera autre chose » affirme monsieur Delage. Paradoxalement, le CD qui avait entrainé le déclin des ventes du vinyle, disparaît peu à peu des étals. Les disquaires continuent à leur dédier une partie. « Les ventes de vinyles représentent près de 65% du chiffre d’affaires. Pour le CD, je suis entre 30% et 35% selon les mois » détaille Bertrand Ponsignon. Le propriétaire du Baromètre Corner, quant à lui, continue de les mettre en avant pour leur qualité audio. « Pour la musique électronique, je préfère renvoyer les gens vers le CD. C’est au cas par cas. » Parmi les produits que l’on pensait disparus définitivement, les cassettes restent également présentes. Selon le patron du Madison, cela tient avant tout à son aspect pratique. « Il y a des étudiants qui en achètent car ils ont une voiture d’occasion avec un lecteur à cassette. J’en garde toujours un peu sous le coude » affirme-t-il.

S’adapter pour résister

Bien que centré sur la musique, le propriétaire du Vertigo réserve de la place pour des expositions d’artiste locaux
Bien que centré sur la musique, le propriétaire du Vertigo réserve de la place pour des expositions d’artiste locaux

Si le vinyle est de retour, la demande a changé. « Les gens sont de plus en plus exigeants. Ils préfèrent écouter peu mais mieux. Ils n’ont pas envie de se tromper. Un vinyle ça représente un investissement » témoigne Malek Benchebana. Les façons de vendre sont aussi différentes. Internet a changé les règles en permettant de s’adresser à un nombre plus important de clients.  « Aujourd’hui, dans certains cas,  je peux mettre une édition collector sur le site d’Amazon ou de la Fnac, rien ne m’empêche de fixer son prix à 1000€ et qu’il soit acheté par quelqu’un à l’autre bout du monde qui le veut absolument pour l’anniversaire de sa fille » explique Didier Delage. Un changement qui n’a pas que des effets positifs pour les vendeurs. « Il y a 67 millions de personnes en France soit 67 millions de vendeurs potentiels. Il y a une offre pléthorique » ajoute-t-il. Pour joindre le geste à la parole, Il prend un de ses exemplaires et scanne le code-barres avec  son smartphone. L’application de l’appareil l’analyse, indique le nombre de produits similaires sur le marché, propose de le mettre en vente en ligne et le tour est joué. Chacun peut fixer le prix qu’il souhaite et l’envoyer au futur acheteur. Il conclut « Aujourd’hui, tout le monde peut s’improviser disquaire ».

Chacune de ces boutiques possède leur lot de CD. A gauche, le Madison et à droite, le Baromètre Corner.

La concurrence reste rude et la place des disquaires fragile. « On ne peut plus se spécialiser » soupire le patron du Madison. Une conjoncture qui demande de toujours rester souple. « Il faut sans cesse s’adapter et rester pragmatique. Par exemple, si les gens veulent moins de CD, j’en fais moins mais toujours un peu » affirme le propriétaire du Baromètre Corner. Pour monsieur Benchebana, cela est aussi dû au fait que les « gens n’ont pas forcément le temps de s’arrêter pour écouter ». Bertrand Ponsignon sent même le vent du vinyle tourner. « Les ventes commencent à diminuer progressivement, on a l’impression d’arriver à la fin d’un effet de mode ». En France, les  revenus générés par le vinyle, bien que flatteurs, restent relatifs par rapport au numérique qui représentait 62,7% des ventes musicales au premier semestre 2018, selon le Syndicat National de l’Étude Phonographique. La fin d’une époque ? Le vendeur préfère relativiser « Les gens auront toujours besoin de quelqu’un pour les conseiller. » Didier Delage compte également sur la réputation, un critère indispensable pour le métier. Celui-ci a d’ailleurs installé un bac spécifique de vinyles « pour les gens qui ont récemment acquis une platine et qui ne savent pas trop quoi acheter avec des airs que tout le monde a déjà entendu. C’est un bon moyen pour commencer ». Il faut également être dans l’actualité des produits. « Il n’y a pas très longtemps, c’était les 50 ans du premier titre de Led Zeppelin. J’ai fait un bac à thème pour l’occasion. Cela permet parfois d’aider les ventes mais c’est au cas par cas. » Poursuit-il. Personne ne sait de quoi le marché du vinyle sera fait demain. La conjoncture peut sembler un moment favorable puis envoyer des signaux contraires. Pour notre interlocuteur, « 2018 a été une année étrange. Les ventes ont fortement commencé au début puis ça s’est tassé. » Il reste cependant optimiste. « Tout dépend de la conjoncture. Quand le dernier album de Mylène Farmer est sorti, il a fait 50% de mon chiffre d’affaires. Pareil pour le dernier Johnny Hallyday, j’ai dû me réapprovisionner tellement la demande était importante. »

Le patron du Baromètre Corner a aménagé un bac spécifiquement pour Led Zeppelin pour fêter les 50 ans de leur premier titre
Le patron du Baromètre Corner a aménagé un bac spécifiquement pour Led Zeppelin pour fêter les 50 ans de leur premier titre

Avec une conjoncture qui impose son propre tempo. Les disquaires de tours doivent s’adapter pour suivre la mesure. La plupart d’entre eux connaissent le refrain avec des tendances très vite changeantes. Malgré tout, le vinyle continue à tourner dans le petit Paris.

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