Caarud : Une seringue, une paille, un soutien.

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Comment se droguer ? C’est une question qu’on ne pose pas car on ne se drogue pas. La drogue « c’est mal ». Pourtant, pour ceux qui sont tombés dedans, les risques sont nombreux : hépatites, SIDA, overdoses. À Tours, une association aide les dépendants à consommer correctement.

A écouter notre reportage audio :


La table basse est recouverte de miettes de tabac. Des tasses de café, un kit d’injection, des prospectus, des stylos, un paquet de clopes, un petit tas de « roule-ta-paille ». Nous sommes au Caarud. Le Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques des usagers de drogues. Un nom un peu barbare mais qui veut bien dire ce qu’il veut dire : ici, tout est fait pour que les consommateurs de cocaïne, héroïne, etc. prennent le moins de risques possibles pour leur santé.

Aurélie arrive dans un grand éclat de voix dans le salon. La quarantaine, cette femme avec une gouaille pas possible est la bénévole la plus investie dans l’association. Sa situation est précaire mais ça ne l’empêche pas d’avoir le moral. « J’ai découvert le Caarud par mon copain qui est polyconsommateur. Il m’a demandé de passer ici pour lui récupérer du matos. C’est pratique ici. » Elle est passée. Elle est repartie sans demander son reste. Puis elle est revenue. Pour elle, cette fois. Elle a récupéré tout ce dont elle avait besoin pour consommer proprement ses produits.

Assis dans le canapé, les trois salariés de l’association boivent leur café en se faisant des blagues. « Nous, on est là pour les adhérents. Mais si les adhérents ne veulent pas nous parler, on ne leur parle pas. Ils peuvent venir, récupérer leurs seringues et repartir. Notre boulot n’est pas de faire de la prévention sur la drogue mais de les accompagner dans leur consommation. » Pas de moralisation donc. Tous sont responsables de leur consommation et ce n’est pas au Caarud qu’ils vont trouver les outils pour se sortir de leur addiction. Ici, on fait des dépistages, on boit un café et on donne du matériel propre. C’est tout. Et pourtant, si le Caarud se défend de faire de l’incitation, Aurélie le dit : elle a pu tester de nouveaux produits car elle a eu accès à du matériel auquel elle n’avait pas accès avant. « Mais ce n’est pas le Caarud qui m’a poussé à consommer. C’est moi. C’est moi qui suis responsable de ma consommation. Et le Caarud m’aide à m’en sortir sans pour autant me contraindre. »

Les bénévoles sont nombreux à être des consommateurs

Il y a une règle simple à respecter : interdiction de se droguer dans les locaux. Pourtant, comme Aurélie, les bénévoles sont nombreux à être des consommateurs. Lorsqu’ils sont de permanence, ils ont le droit à des « pauses ». « On sait que c’est pour qu’ils aillent fumer leur joint. Mais on préfère qu’ils soient avec nous », explique Priscilla, salariée de Aides, l’association qui gère le Caarud. Elle, n’a pas consommé et ne consommera jamais. « Au début ça a été dur pour moi parce que j’avais du mal à comprendre les gens qui venaient. Mais finalement, je me sens très bien ici. Je n’ai pas eu besoin de beaucoup de temps pour m’acclimater. C’est un peu une grande famille. »

S’acclimater. Il y a tout un vocabulaire à maîtriser, des codes à retenir. Ici, on ne dit pas « toxico » mais « consommateur ». On ne dit pas « drogues » mais « produits ». Aseptisation du vocabulaire pour ne froisser personne. Et surtout pas l’ARS, l’Agence régionale de santé. Le Caarud est financé par l’ARS et les relations semblent tendues… Comment faire comprendre à un organisme étatique qu’il est important de donner des ateliers pour aider les consommateurs à utiliser correctement le matériel ? Contactée à de nombreuses reprises, l’ARS n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. Par contre, dans un mail, elle rappelle les missions du Caarud. Entre autres : soutien à l’insertion et à la réinsertion.

Mais ce soutien n’est pas si facile à donner. Florian, salarié de l’association explique : « Si les adhérents veulent nous parler, c’est avec grand plaisir. Mais on ne les oblige à rien. Le moment privilégié, c’est quand on leur fait un dépistage pour les infections sexuellement transmissibles (IST), par exemple. » Juste en face de la salle de dépistage, une pièce remplie d’armoires pleines à craquer. Seringues, pailles, boites stériles (pour y jeter les seringues usagées), mais aussi du dentifrice, des serviettes hygiéniques, des préservatifs (beaucoup), du sérum physiologique… La diversité du matériel est importante car beaucoup de personnes en situation précaire viennent au Caarud. Franck a vécu dans une tente sur les bords de Loire durant l’année et fait pousser des tomates et des fraises dans le jardin de l’association. Ici, il peut venir recharger ses batteries et faire sa cuisine. Au mois de décembre, il y faisait sa purée. Au mois de juillet, sa récolte dans le jardin. Ici, c’est aussi un endroit pour recréer du lien social.

Un rôle de phare, de refuge

Aurélie, dans sa grande robe blanche, cigarette qui n’en a pas l’air à la main, est sans emploi. Elle touche le RSA et est sous curatelle, c’est-à-dire qu’elle ne gère pas son argent toute seule. S’investir dans le Caarud a été salvateur. « Sans eux, je serais encore chez moi à consommer. Moins je suis seule chez moi, moins je consomme. Ça m’a permis de retrouver une vie sociale et de ne pas passer mes journées à me faire chier devant la télé. Aujourd’hui je kiffe ma vie. » Depuis le mois de mars 2019, elle est élue secrétaire au sein du conseil de région de Aides. « En même temps que j’évoluais au sein de l’association, j’évoluais dans ma vie personnelle. Ça m’a ouvert des portes, pas seulement au sein de l’association. Tout va tellement bien pour moi que j’entame des démarches pour récupérer la garde de ma fille. » Un grand pas pour celle qui ne peut quand même pas se passer de son rituel « café-bédo » tous les matins.

Tous sont pudiques. S’ils se montrent, ils ont peur que leurs relations avec « les autres » ne se dégradent. Ou que leur nom se retrouve associé à celui d’une personne qu’on doit « mettre à l’écart », d’une personne « droguée ». Mais peut-être aussi ont-ils peur de perdre ce lieu qui leur est si cher ? Comment parler des consommateurs de drogue et du lieu qui les accueille sans faire perdre à ce lieu le rôle qu’il tient ? Un rôle de phare, de refuge.

Pourtant, tous sont heureux de pouvoir se dévoiler aux yeux du grand public. On ne dit pas « toxicomanes » car ils ne disent pas « malades ». Mais plutôt victimes du produit. Un produit dans lequel ils sont tombés sans trop faire attention, un soir, une nuit ou pendant un rapport sexuel.

Photos : Laurent Depeigne

Un reportage paru initialement dans le 3e numéro du magazine papier 37°Mag

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