A Tours, l’Acte XII des Gilets Jaunes a-t-il été surévalué ?

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Commerces fermés ou barricadés, forces de l’ordre en surnombre, ville déserte… Samedi après-midi, Tours s’était préparée pour une manifestation gigantesque lors de l’Acte XII des Gilets Jaunes. Il y avait du monde dans la rue, mais rien d’extraordinaire. Retour sur une journée de mobilisation à l’ambiance singulière.

Avant le départ…

Côté forces de l’ordre :

La préfecture avait refusé de dévoiler l’étendue du dispositif mis en place à Tours ce 2 février, tout juste la préfète indiquait-elle qu’elle serait au commissariat comme chaque samedi pour suivre la mobilisation avec son portable à proximité pour twitter en direct, comme elle le fait depuis quelques semaines en n’hésitant pas à répondre aux internautes qui l’interpellent. Au final, ce sont 240 policiers et gendarmes qui ont été mobilisés, bien plus que lors des manifestations du mois de décembre ou de début janvier. Une sorte de cellule de crise avait par ailleurs été aménagée au 2ème étage du commissariat avec retransmission des images de vidéosurveillance.

Côté Gilets Jaunes :

Fidèle à lui-même, le mouvement entamé le 17 novembre pour dénoncer la politique du gouvernement en matière de pouvoir d’achat ou de vie démocratique s’est révélé désorganisé. Tours avait été présentée comme capitale régionale du Grand Ouest en raison de sa position centrale, rôle assuré par Bourges le 12 janvier. Sauf que Châteauroux ou Orléans organisaient également des rassemblements ce samedi 2 février. A la mi-journée, on ne recensait donc que quelques centaines de personnes sur le parking de Rochepinard près du Parc Expo. Clairement pas une marée humaine mais une ambiance revendicative bon enfant. Et plus de jeunes que d’habitude, quelques étudiants par exemple.



En début d’après-midi…

Côté Gilets Jaunes :

Le cortège s’élance comme prévu aux alentours de 13h de Rochepinard. Pour ramener du monde, des tracts avaient été distribués le matin même sur le marché voisin de Beaujardin. Quelques centaines de personnes remontent alors vers les Atlantes et la Rue Édouard Vaillant, une voiture est décorée avec un drapeau français. On voit des Gilets Jaunes afficher leur origine : 86 (Vienne), 79 (Deux-Sèvres), 49 (Maine-et-Loire)… Des Vendômois ou Sarthois sont également dans le groupe qui bifurque vers le Sanitas à la Rotonde avant de remonter par l’Avenue de Grammont pour rejoindre Jean Jaurès. Devant l’Hôtel de Ville, quelques autres centaines de personnes attend le regroupement du cortège.

Côté forces de l’ordre :

On surveille en gérant la circulation aux carrefours. Ambiance calme, RAS.


15h…

Côté forces de l’ordre :

Plusieurs camions sont en place dans le centre-ville, positionnés à côté du commissariat ou de la préfecture. La préfecture avait indiqué vendredi que la circulation du défilé serait libre, en dépit de sa non déclaration.

Côté Gilets Jaunes :

Le défilé s’engage sur le Boulevard Béranger puis bifurque vers les Halles. Des profs ferment la marche… et s’ennuient un peu, malgré leurs vuvuzelas : « si on veut de l’ambiance, il faut qu’on remonte un peu. Une dame tente un slogan : « les jeunes dans la misère, les vieux dans la gal… Ah, non ! C’est l’inverse ! »

15h30…

Côté Gilets Jaunes :

Le cortège arrive aux Tanneurs. Au moment de passer sous la passerelle de la face, un groupe de manifestants cherche un copain du regard : « en général on se met là pour filmer, comme ça y’en qui peuvent compter après. Eh ! Philippe ! Tu comptes, hein ? ». Un pétard éclate quelques minutes plus tard, et ça ne sent pas bon : « il se passe quoi là ? On se gaze nous-mêmes ! »

Côté forces de l’ordre :

A ce moment-là, la préfecture estime que 1 850 personnes sont dans la rue, certains manifestants parlent de 3000 personnes, presque deux fois plus que les différents Actes du mois de janvier, mais moins que les 6 ou 10 000 manifestants envisagés par les médias – nous y compris – en début de semaine. C’est par ailleurs beaucoup moins que les 5 000 personnes rassemblées à Valence, dans la Drôme, autre ville choisie pour être rassemblement régional.



16h…

Côté Gilets Jaunes :

La manifestation se coupe en deux une fois de retour Place Jean Jaurès… Un petit groupe part vers la préfecture « en éclaireur », les autres restent devant la mairie. Puis se décident à bouger. Un chien se soulage face à l’Hôtel de Ville, abondamment félicité par son maître qui y voit un symbole de protestation contre le pouvoir… Dans la Rue Buffon, on croise un groupe qui joue avec un poulet en plastique à qui l’on a confectionné un mini gilet jaune. Il fait du bruit, ça amuse tout le monde, l’ambiance est détendue. « Ils ont fermé le parking de la place, ce serait dommage de ne pas en profiter » lance un homme en marchant.

Côté forces de l’ordre :

Équipés de leurs boucliers et de leurs casques, des gendarmes sont postés dans la petite rue qui jouxte la Place de la Préfecture. Pendant de longues minutes, un groupe de manifestants remonté les provoque avec des slogans vindicatifs. Quelques projectiles fusent, les hommes en face restent stoïques. Un homme âgé est blessé à la tête par une pierre, et pris en charge par les « médics », ces manifestants chargés de prendre en charge les blessés. Finalement, le groupe se disperse et repart en direction de la Rue Nationale. L’hélicoptère des gendarmes commence à tourner, copieusement sifflé. Il fera des rondes jusqu’à la tombée de la nuit pour identifier les groupes les plus mobiles qui cherchent l’affrontement (certains ne le nient pas).


Entre 17h et 18h…

Côté Gilets Jaunes :

Depuis le début du mouvement c’est la première fois que le phénomène prend une telle ampleur : un groupe s’acharne à taguer tous les bâtiments officiels, les banques ou les grandes enseignes. On y distingue le plus souvent l’inscription RIC mais aussi ACAB pour All cops are bastards. Sur les vitrines barricadées des Galeries Lafayette, une inscription ironique : « bientôt la faillite ? ». En parallèle, un groupe s’agace contre un rideau de fer tout cabossé mais pas brisé. En face, une boulangerie industrielle a monté une barricade de fortune avec des chaises mais reste ouverte pour tenter d’écouler 2-3 cookies. Autour, la plupart des enseignes sont fermées.

Tout près, le tribunal est abondamment recouvert d’inscriptions, tout comme La Poste qui fait l’angle avec la Rue Marceau où est situé le commissariat. Certains slogans sont clairement limites, dont un qui fait référence à l’Allemagne nazie. Un autre rappelle les événements de 1967 en Guadeloupe, lorsque les grèves dégénèrent en affrontements avec les gendarmes.

Côté forces de l’ordre :

Pris à partie Rue Etienne Pallu, les policiers ne réagissent pas malgré quelques jets de projectiles. En revanche Rue Marceau ils lancent les premières sommations… Et surtout inaugurent une stratégie « d’encerclement » : les gaz lacrymogènes partent de la Rue Victor Hugo, du Boulevard Béranger et des environs du commissariat. Ils rebondissent parfois sur les parcmètres… Les manifestants – encore plusieurs centaines de personnes présentes – se dispersent puis se regroupent Place Jean Jaurès où part une deuxième salve de gaz, noyant tout l’espace dans la fumée. Des distributions de masques et de sérum physiologiques sont organisées.



Après 18h…

Alors que les ambulances et les médics prennent en charge quelques blessés (4 dont une personne victime de malaise selon la préfecture), c’est le début d’un long round d’observation… Les forces de l’ordre quadrillent la Place Jean Jaurès, laissant tout de même une issue vers la gare et la Rue Nationale. Les manifestants venus d’ailleurs repartent chercher leurs véhicules vers le Parc Expo et les Tourangeaux toisent les fonctionnaires. S’approchent très, très près. Avec véhémence dans leurs propos mais sans violence. Un vieux monsieur lit des poésies face à des hommes stoïques, certains esquissent quelques sourires. Et là, scène étonnante : les forces de l’ordre reculent à petits pas, collées par des jeunes qui applaudissent. Le groupe fait environ 75 mètres, jusqu’à l’entrée du Boulevard Béranger. Ce sera le dernier acte notable de la journée, la Place Jean Jaurès s’étant ensuite progressivement vidée aux environs de 19h.

Dimanche matin…

Que penser de cet Acte XII ? Pas de doute possible, malgré le Grand Débat National et ses promesses de plus d’écoute des remontées du terrain, la colère d’une partie de la population reste intacte. Trop de frustrations et de déceptions accumulées depuis des années. Trop de petites phrases politiques. Trop d’actions du pouvoir vécues comme des provocations. Une pancarte parmi d’autres symbolise cette défiance : « vous étiez nos héros, vous êtes devenus nos bourreaux » brandie en direction des gendarmes. Et cela en à peine 4 ans.

C’est si court 4 ans à l’échelle de l’histoire de France. Si long dans un monde où les événements se chassent les uns les autres à une vitesse supersonique. Mais il faudrait avoir des œillères pour croire que ce qui a fait la Une un jour est totalement oublié quelques semaines plus tard. C’est le message que viennent porter ces Gilets Jaunes chaque samedi avec culot, hargne et espoir. Ils pensent que marcher en groupe et le plus nombreux possible sur la durée marquera suffisamment l’Histoire pour que le jour où les manifestations stopperont une nouvelle ère démocratique aura réellement débuté. Combien de temps avant ce jour, ce retour à un samedi après-midi où la culture et la flânerie prendront à nouveau le pas sur la colère et la force ?


Lundi matin…

L’activité économique reprend. Les boutiques rouvrent. Et le centre-ville de Tours sort groggy de ce week-end. Les badauds ont déserté, les commerçants aussi. Des peurs et des craintes qui apparaissent bien disproportionnées par rapport à ce que l’on a observé sur le terrain. Il y avait bien quelques dizaines de personnes venues plus pour agiter la foule que pour bousculer le président, il y a bien eu ces tags inappropriés, ces regards défiants et ces deux salves de lacrymos. Mais cela valait-il tant de barricades, le report d’un Bal Renaissance et la fermeture pour toute la journée du plus grand magasin de meubles de l’agglo ? Les Gilets Jaunes ont d’un côté réussi leur coup : ils ont monopolisé l’attention et paralysé le quotidien. Mais en face, on a peut-être une fois de plus mis une mauvaise étiquette sur un mouvement majoritairement composé de personnes qui cherchent à être considérées pour ce qu’elles sont plutôt que par l’idée que l’on se fait d’elles.


Photos : Pascal Montagne et Laurent Depeigne pour la Une

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