A Tours, entre les murs

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Taux record de surpopulation, vétusté, personnel à bout… La maison d’arrêt de Tours est à l’image de la situation préoccupante des prisons françaises. Sur le terrain, milieux associatifs et professionnels ne cessent de mettre en garde sur les conditions de détention. Un phénomène français qui empire année après année sans qu’aucune vision politique ne soit emportée.

Maison d'arret CouvertureIllustration (c) Henry Girard

Ce sont deux portes qui se font face. L’une au 20, l’autre au 25 de la rue Henri Martin. Des femmes vont et viennent entre les deux maisons. Certaines attendent à l’abri bus, coté 20. D’autres sur les chaises et tables en plastique, côté 25. Le bitume fumant de cette chaude journée d’été a conduit certaines à siroter une menthe à l’eau. Une menthe glaciale, comme peut l’être la lourde et imposante porte d’en face. Les murs de plusieurs mètres de haut sont chapeautés de barbelés, leurs pans munis de deux caméras de surveillance, deux yeux rivés sur la sonnette. La maison d’arrêt de Tours se dresse dans la rue depuis 1935. Mais ce n’est que depuis 1986 que « la petite maison », comme on l’appelle, est venue s’installer en face. On y entre par un petit portail. On longe une cour décorée de fresques. A peine le temps de frapper pour se signaler que la porte s’ouvre déjà. Regard doux et bienveillant, un sourire qui apaise, Monique Carriat est vice présidente de l’association Entraide et Solidarités. Elle a connu les débuts de ce qu’elle décrit aujourd’hui comme « un véritable petit paradis ». Un petit paradis pour ces femmes de détenus qui n’avaient, avant la création du lieu, que l’abri bus pour attendre leur tour de parloir. Deux bancs juxtaposés, en bois écaillé, où l’on patientait, été comme hiver. « Ici, c’est un lieu d’accueil, d’écoute, d’information. Toutes les familles qui ont un proche derrière les murs sont bienvenues. Elles savent que personne ne les jugera et surtout qu’elles ne sont pas seules pour affronter les difficultés, » explique-t-elle.

Il faut dire qu’aucune structure étatique de l’administration française ne s’occupe des familles des détenus. Pourtant, si une peine d’emprisonnement est un vécu particulier pour le concerné, elle est une épreuve compliquée pour l’entourage, souvent minimisée par la société. Culpabilité, solitude, perte de revenus, adversité du quotidien. « Je suis là pour apporter ma neutralité bienveillante, » explique Alexandre Charanton, travailleur social, salarié de l’association. Arrivé seulement il y a quelques mois, l’homme à la personnalité calme a déjà une forte expérience auprès des problématiques de l’incarcération. « Ce que je veux, c’est être une oreille, un remède aux situations anxiogènes que sont l’arrivée à la prison, les attentes de jugement, et la sortie. Je les aide ou les dirige vers les ressources financières possibles, dans la réalisation des demandes, souvent en collaboration avec Monique qui est écrivain public. » Pas facile de prendre la parole et de coucher sur le papier les réclamations. La plume de Monique fait alors office de médiation entre l’intérieur et l’extérieur, dans ce sas qu’est la « petite maison ». Et les demandes sont nombreuses. « Par exemple, cela fait quelques mois qu’une jeune dame se rend régulièrement au parloir et remarque progressivement l’état de détresse de son compagnon. Dans une cellule de 9m2, il se dit brimé par deux autres détenus. Je suis alors présente pour tenter de le faire savoir auprès de la direction de la maison d’arrêt. »

Le mal français

Trois détenus dans 9m2. « Le pire chiffre qu’il soit » pour Jean-Marc Chauvet, Défenseur des Droits au centre de vie du Sanitas. « Dans une telle configuration, il y a toujours un deux contre un qui se crée. Souvent le plus faible. » La situation est loin d’être anecdotique. Depuis plusieurs années, la maison d’arrêt de Tours, comme la plupart des établissements de France, est confrontée à un problème de surpopulation. Entre les murs de l’établissement de la rue Henri Martin, on compte actuellement 235 hébergés pour 142 places effectives. Sur le papier, cela représente un taux d’occupation de plus de 93%. Des chiffres qui ont valu à l’hexagone la triste cinquième position des pires établissements d’accueil pénitentiaires. Juste derrière la Hongrie de Viktor Orbán. La promiscuité, la chaleur, les tensions entre détenus, sont les conséquences directes des conditions de détention, très souvent dénoncées par les syndicats et les milieux associatifs.

Capture plein écran 10072017 012944.bmp(c) capture d’écran Google

Du côté de la cellule locale du SPS (Syndicat Pénitentiaire des Surveillant.e.s), on regrette « un travail à flux tendu ». Car les situations difficiles amènent souvent leurs lots de difficultés supplémentaires. Le personnel en sous-effectif est l’une d’elle. Au nombre de 48 surveillants, Frédéric (le nom a été changé), responsable syndical, sonne depuis longtemps l’alarme d’une profession en manque de moyen. « La prison, c’est un concentré de l’extérieur avec tous ses problèmes : risque de bagarre, heurts, racket. Au regard de la violence de notre société, vous imaginez bien que la prison n’a pas été épargnée. Au moins six postes supplémentaires devraient être créés si nous voulons continuer d’assurer la sécurité de nos détenus. » Depuis le début de l’année 2016, la prison connaît une longue série d’agressions auprès de son personnel jusqu’à la plus récente du mois de juin 2017 où un surveillant a dû être admis aux urgences… seul, faute de collègues pour l’accompagner.

« Auparavant vous aviez des assistantes sociales, vous aviez des gens qui écoutaient les détenus et qui avaient le temps d’aider », déplore Jean Marc Chauvet. « Aujourd’hui on a les CIP (Conseiller Pénitentiaire d’Insertion). Mais leur rôle a été complètement modifié. On en a fait des agents des magistrats, des comptables auprès des directeurs, pour la préparation de la sortie. Ce qui est légitime en soi mais ils n’ont plus le temps et, surtout, ils ne sont pas jugés là-dessus. » Les surveillants ont pris le relais. Seulement, le cumul des responsabilités est difficilement tenable quand les postes viennent à manquer. « On a un travail de fond à faire, d’explications, de dialogue, de rappels à l’ordre, quand il est encore possible de le faire. » Car le manque d’effectif a une autre conséquence « dramatique » selon Frédéric : le passage clandestin de marchandises prohibées. Dans une lettre ouverte de 2016, que le SPS titrait « un drôle d’inventaire », le syndicat faisait état des objets et produits consommables confisqués auprès de la population de la maison d’arrêt. Téléphones portables, bouteilles d’alcool, marijuana. « Jusqu’au jour où nous avons trouvé une arme dans la cour, au petit matin. La prison est loin d’être hermétique. J’ai pourtant proposé une solution claire et efficace. » Devant les complices postés en dehors des murs et qui, par simple projection par-dessus les remparts, font parvenir les fournitures, Frédéric propose un filet aux mailles très resserrées. Une solution toujours en attente de considération.

Isolé avant l’isolement

Etre à l’écoute de la population carcérale, une tâche délicate à réaliser quand la sécurité même du bâtiment est menacée. « Les détenus sont alors repoussés vers eux-mêmes,» poursuit Jean Marc Chauvet. « C’est l’exemple du film Un prophète de Jacques Audiard. Il va trouver de l’aide auprès des autres détenus qui parfois n’en est pas une. Et ça c’est très malsain. Surtout quand on a une population en rébellion. » Car la France n’a pas toujours eu la mauvaise réputation de son milieu carcéral. Elle n’a pas su s’adapter à la population qui, elle, a évolué. Le détenu des années 70 n’est plus celui qui peuple les cellules modernes. « Le profil des incarcérés était issu du petit ou grand banditisme. Le personnel des prisons avait affaire à des personnes qui voulait hélas gagner leur vie plus vite que les autres », selon le défenseur des droits. « Ils acceptaient leur peine au titre de ce corollaire. Le détenu d’aujourd’hui est quant à lui déjà désocialisé avant son entrée. » Selon les statistiques du dossier des Journées Nationales Prison de 2015, près de 40 % des personnes incarcérées n’ont jamais travaillé avant leur séjour en prison, 51% avaient un emploi déclaré au moment de leur arrestation, 7% travaillaient au noir. Les détenus sont déjà en situation d’isolement avant de connaître la vie derrière les barreaux. S’ils n’ont pu trouver d’écoute à l’extérieur, peu de chance que ce soit le cas à l’intérieur. Cette désocialisation empire entre les murs où la méfiance et les tensions ajoutent au sentiment d’oppression des deux côtés. « C’est un monde difficile où les gens ont peur. Les surveillants ont peur des détenus et les détenus ont peur des surveillants, » insiste Jean Marc Chauvet. Pour ce personnel surveillant, « le ministère de ne se rend pas du tout compte de la situation. Nous sommes dans un bateau où nous nous demandons où est passé le capitaine. » Régulièrement la direction pénitentiaire interrégionale en la personne de Pascal Vion vient sur le terrain pour calmer les tensions. Le syndicat a trouvé un interlocuteur « à l’écoute », qui « a pris conscience de l’urgence de la situation sans qu’aucune mesure ne soit engagée.» Quelque part entre l’autruche et la langue de bois, le monde pénitentiaire semble souffrir d’une politique du court terme par manque de budget dédié, certes, et d’esprit ambitieux afin de s’attaquer à un chantier qui « gangrène » d’année en année. Ce n’est que par les actions menées par des organismes extérieurs que l’établissement a pu connaître quelques améliorations. En 2016, la section française de L’observatoire international des prisons s’appuyait sur un rapport de la sous-commission départementale de sécurité contre les risques d’incendie (SRI) pour saisir la justice et réclamer la fin des « atteintes graves et illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues ». La vétusté de la maison d’arrêt et ses risques élevés d’incendie conféraient au bâtiment une dangerosité rarement constatée sur le territoire. Repoussée par la justice, la demande de fermeture ne put aboutir. « Mais à partir de cet épisode, on a reçu miraculeusement le budget pour obtenir des bennes et désencombrer nos sous-sols de tous les déchets inflammables stockés depuis des années, » précise le personnel. Des solutions trouvées dans l’urgence, à l’image de la politique du système carcéral français.

Face au phénomène, le débat interne oscille entre deux alternatives : aménager les peines afin de les réduire et développer les chantiers extérieures (TIG et autres) ou construire de nouveau établissement. Avec le projet de loi finances 2017, le gouvernement prévoit 1,158 milliard pour le lancement d’une vague de construction de plus de 4 000 cellules. Question tranchée ? Pas pour les organisations professionnelles qui estiment l’urgence de l’entretien du parc carcéral et le développement des activités prioritaires. « Il faut remettre du personnel de soutien qui a déserté les prisons », explique Jean Marc Chauvet et « repenser le séjour pénitentiaire dans sa globalité », selon Fréderic. Les deux hommes sont prêts à parier que la France aurait tout intérêt à observer les gestions voisines. C’est le travail notamment de l’association de Pierre Botton. Cet ancien détenu œuvre aujourd’hui à la facilitation de la réinsertion et se penche sur les conditions de détention. La « prison du cœur » est une proposition de prison ouverte inspirée de l’administration hollandaise. Les bâtiments modernes prennent en compte jusque dans leur conception architecturale, la visée même de l’emprisonnement : sortir et prendre un nouveau départ. Problème ? La mainmise de l’Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice (APIJ) sur l’ensemble des constructions du parc. « Ils raisonnent en bâtisseur, » confie le défenseur de droits, et semblent déterminés à poursuivre sur la logique de la prison close. Les attaques terroristes subies par le pays et l’apparition de nouveaux profils radicalisés qu’il faut isoler, a entériné les débats et a mis de côté les projets d’innovation.

Au 25 de la rue Henri Martin, à la « petite maison », on est conscient de la lenteur des processus d’amélioration et d’évolution du ministère de la justice. Au milieu du petit salon où sont jonchés des jouets pour les enfants des familles en visite, trône un distributeur métallique. Censé faciliter les procédés de réservation des parloirs en ligne, l’administration a bien voulu en doter la petite maison où transitent la plupart des visiteurs. Belle initiative au regard des femmes de détenus qui ont souvent autre chose à penser qu’aux complications des procédures. Mais un détail vient ternir le tableau. La machine n’a jamais été connectée. L’automate ronronne depuis plusieurs mois en attendant la venue du technicien. Monique s’en amuse. Elle ironise même en la rebaptisant « l’arlésienne ». Les initiatives couteuses et improductives, à l’instar de « l’arlésienne » de Monique, sont préférées au détriment de la création du lien social. Dans les locaux, on regrette le temps où l’association comptait parmi ses salariés une coiffeuse esthéticienne. A moindre coût, ce service était une belle occasion de se rafraîchir avant l’épreuve des parloirs. Et pour cela, nul besoin d’attendre de technicien.

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