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L’architecte Victor Laloux ne s’est pas contenté de signer trois des neuf ou dix grands bâtiments structurants de la ville de Tours – Gare, Hôtel de Ville, Basilique -, il a aussi fondé un atelier à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris qui verra passer d’excellents élèves (dont 16 ont été lauréats du Prix de Rome, excusez du peu) dont certains ont aussi marqué la capitale tourangelle de leur patte, qui s’approchait parfois à s’y méprendre à la patte de leur maître. Un très beau livre paru fin novembre chez les éditions tourangelles Sutton raconte en mots et en images comment un seul homme a pu laisser une empreinte aussi importante et indélébile dans une ville. Ne cherchez plus le cadeau de Noël pour votre bibliothèque : le voici !

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Même si on manque de preuve, il est fort probable que le jeune Victor Laloux, Prix de Rome 1878, a commencé sa carrière une dizaine d’années plus tôt sur le chantier du Grand Théâtre, mené par son maître Léon Rohard. Après avoir notamment construit une maison particulière située au 42 rue des Prébendes (encore visible aujourd’hui), il se retrouve candidat à la restauration de ce même Grand Théâtre qui brûle en 1883. Même s’il échoue (mauvais perdant, il écrira une lettre au maire de l’époque pour se plaindre), c’est de peu, et sa vocation pour les grands bâtiments se confirme et annonce en quelque sorte la série de commandes importantes à venir.

En quelques années, il va en effet se voir confier trois bâtiments majeurs de Tours, dans des domaines très différents : une gare terminus, un édifice religieux monumental et l’Hôtel de Ville. L’imagination vagabonde, on s’imagine facilement le bonhomme passant d’un chantier à l’autre (les années communes aux trois chantiers étant 1897 et 1898). Un homme qui aura réalisé la moitié de son œuvre sur les bords de Loire puisque ses autres réalisations majeures sont l’extension du Crédit Lyonnais et la Gare d’Orsay à Paris, et l’Hôtel de Ville de Roubaix. Des réalisations qui font la part belle aux arts décoratifs, une tradition aujourd’hui révolue, emportant avec elle de nombreux métiers d’art ; les seuls «survivants» étant désormais confinés à des actions de restaurations.

Interview de Hugo Massire qui a dirigé et co-écrit cet ouvrage et de Bertrand Penneron, architecte tourangeau qui a été en charge de la restauration de la façade de la Gare de Tours, puis plus récemment du dôme de la Basilique Saint Martin (à quand la restauration de l’Hôtel de Ville ?!).

laloux-8Portrait de Victor Laloux (source : Ecole nationale supérieure des Beaux-arts de Paris)

37 degrés : Avec ces trois bâtiments monumentaux en plein centre de Tours, pourrait-on dire d’une certaine manière que Victor Laloux a «vampirisé» la ville pour l’éternité ?

Bertrand Penneron : (rires) Oui, on peut penser ça. Ce qui nous a marqué avec Hugo quand on a commencé à travailler sur ce projet de livre c’est qu’en fait on avait l’impression de «connaître» Victor Laloux. C’est vrai que Laloux est partout, entre l’édifice religieux qui domine le grand paysage de la ville, sa réalisation pour l’exercice du pouvoir qu’est l’Hôtel de Ville et l’entrée de ville qu’est la Gare. Il est incontournable. On pense connaître Laloux, mais c’est plus complexe que ça. Personnellement, je pensais l’avoir «côtoyé» de près en restaurant la façade de la gare et en dorant les marquises comme il avait prévu de le faire initialement, puis en travaillant sur le dôme de la Basilique Saint Martin, mais en fait je ne le connaissais pas vraiment. Je l’avais un peu vite rangé dans les architectes au style «pompier», or à la lecture des différents articles du livre, on découvre un personnage généreux, complexe et très intéressant.

Hugo Massire : Tours a longtemps été une ville connue pour sa monumentalité architecturale, mais toute la monumentalité du XVIIIe siècle a été perdue lors des destructions de 1940. Du coup celle que l’on voit aujourd’hui, c’est celle de Victor Laloux, qui a fait entrer Tours dans la modernité, au sens d’entrée dans le XXe siècle. D’autant plus que ces trois constructions sont arrivées sur un temps extrêmement court. Laloux a eu la volonté de créer des monuments, de marquer un paysage et de créer des symboles, pas seulement de répondre à des commandes et de remplir des fonctions. Quelque chose qu’on ne fait plus aujourd’hui, qu’on n’a plus vraiment osé faire depuis. Si on regarde la seule grande construction récente du centre ville – le Vinci de Jean Nouvel – on peut remarquer qu’il est à moitié enterré, on sent que même quelqu’un comme Jean Nouvel n’a pas pu ou n’a pas voulu donner une grande ampleur à son bâtiment. Plus récemment il a été intéressant de voir la forte place occupée par la gare de Laloux dans l’inconscient collectif, l’opinion publique locale provoquant une virulente levée de bouclier à l’annonce d’un projet de construction d’une tour juste à côté, comme si deux bâtiments-monuments ne pouvaient pas cohabiter, comme si l’œuvre de Laloux était intouchable. Il a créé des repères tellement forts que c’est comme si un certain nombre de Tourangeaux aujourd’hui n’admettaient pas que l’on puisse créer quelque chose de portée équivalente dans la ville, et a fortiori juste à côté d’une construction de Laloux..

«Laloux a eu la volonté de créer des monuments,

de marquer un paysage et de créer des symboles, pas seulement de répondre à des commandes

et de remplir des fonctions.»

laloux-118Gare de Tours en construction (source : archives municipales de Tours)

37 degrés : Pensez-vous que ce phénomène soit propre à Tours ou y a-t-il d’autres villes en France où cette architecture monumentale du XIXe se serait définitivement imposée, au point d’empêcher certains grands projets qui pourraient redessiner un peu la ville ?

Hugo Massire : De manière générale en France, beaucoup de villes moyennes ont été marquées par des familles ou des dynasties d’architectes qui occupent la place. Cependant il est clair qu’en terme de monumentalité à l’époque, avec l’édification de ces trois bâtiments en plus de l’existant, Tours est au-dessus du lot. Mais il est vrai que par la suite, entre Laloux et Nouvel, puis jusqu’à aujourd’hui, il n’y a eu que des grands projets de quartier comme les Rives du Cher et le Sanitas, pas de construction majeure en centre ville. Tours est une ville plate située entre la Loire et le Cher, du coup dès lors que l’on construit quelque chose d’un peu haut et massif, cela modifie tout de suite sa silhouette et donc son identité, cela devient tout de suite un point de repère. Nous sommes dans une période particulièrement crispée en matière de symboles et d’identité, par conséquent on a tendance à Tours notamment à louer la tempérance et à en faire un élément réactionnaire à tout apport, à toute nouveauté ; il convient néanmoins de rappeler qu’à l’époque, les constructions de Laloux ont déchaîné des passions et des scandales importants. Contre les trois constructions, il y a eu des campagnes de presse particulièrement virulentes. Notamment pour la Basilique puisque le début du XXe siècle a été une période très anti-cléricale, or Tours a été l’une des seules villes à accueillir une construction de cette ampleur à ce moment-là…

«Tours est une ville plate située entre la Loire et le Cher,

du coup dès lors que l’on construit quelque chose d’un peu haut et massif, cela modifie tout de suite

sa silhouette et donc son identité, cela devient

tout de suite un point de repère.»

lalouxBasilique Saint-Martin (source : archives diocésaines de Tours)

37 degrés : Il existe assez peu de gares terminus monumentales de ce type en dehors de Paris, comment Laloux a-t-il abordé ce projet ?

Hugo Massire : Au-delà de son académisme, Laloux maîtrisait parfaitement les aspects et les contraintes techniques de ce genre de construction. Il a donc travaillé en bonne intelligence avec les ingénieurs de la société des chemins de fer, même si parfois il s’est aussi opposé à eux.

37 degrés : Vous parlez beaucoup des arts décoratifs, c’est quelque chose de très important dans les constructions de Victor Laloux, notamment dans ses hôtels de ville. Ceci a changé peu après son époque ?

Hugo Massire : Le budget consacré aux décors doit représenter plus d’un quart d’un bâtiment comme l’Hôtel de Ville de Tours, c’est énorme et évidemment inimaginable de nos jours. Mais déjà au début du XXe siècle, pour des gens comme le Corbusier, c’est une aberration. On va vite entrer dans une logique où le budget doit uniquement servir à répondre aux besoins des usagers et à la raison. On peut aussi parler du volume de l’escalier d’apparat des hauteurs sous plafond de l’Hôtel de Ville qui, chez Laloux comme chez d’autres de la même lignée, ne servent qu’au prestige et ne répondent à aucun autre besoin.

Bertrand Penneron : Les grands volumes sont d’autant plus inimaginables aujourd’hui qu’il y a de nombreuses normes, notamment sur le plan énergétique.

laloux-81Hôtel de Ville de Tours (source : archives municipales de Tours)

37 degrés : De nouveaux lieux sont devenus importants dans l’agglomération tourangelle comme la gare de Saint-Pierre des Corps ou la naissance d’une nouvelle collectivité territoriale – la communauté d’agglomération, bientôt métropole – comment expliquez-vous que nous ne construisions plus ou n’envisagions plus de construire de nouveaux bâtiments-monuments massifs et imposants pour signaler de tels lieux ?

Bertrand Penneron : Je vais vous faire une réponse d’architecte, pas d’historien. Je pense qu’à une époque l’architecture était quelque chose de fédérateur, un espace de rêve, une façon de fabriquer le pouvoir, voire de lui donner un sens. Aujourd’hui, le pouvoir est ailleurs, il existe plein d’autres objets qui font bien plus rêver que l’architecture, comme les avions ou les paquebots par exemple. L’architecture est devenu un espace d’accompagnement et le monument serait plutôt devenu un système de références.

Hugo Massire : Aujourd’hui on parle de «maires bâtisseurs», parce qu’ils sont devenus l’exception. On peut prendre l’exemple de Georges Frêche à Montpellier qui a eu une politique comparable à ce qu’était la norme au XIXe siècle. Face à ce genre de choix politique, à notre époque, on a tendance à parler très vite de mégalomanie, comme s’il était désormais répréhensible d’avoir envie de construire des choses un peu monumentales. Il y a aussi une perte de prestige de l’architecte et une prédominance du maître d’ouvrage, en particulier lorsqu’il s’agit de la puissance publique.

Propos recueillis à Tours le 21 novembre 2016

Un degré en plus

> Victor Laloux, son œuvre Tourangelle, sous la direction de Hugo Massire, textes de Hugo Massire, Amandine Olivereau, Olivier Prisset et Caroline Soppelsa, postface de Bertrand Penneron. Editions Alan Sutton, Tours, novembre 2016. 20 euros, disponible à La Boîte à Livres.

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