Les marchands de bonheur : plongée au coeur du développement personnel

Facebook
Twitter
Email

Le bonheur, voici un sujet de philosophie récurrent au baccalauréat qui n’a toujours pas fini de faire parler de lui. Dans notre société des apparences, l’injonction au bonheur est partout : Sur les réseaux sociaux où chacun cache sa réalité derrière des photos trompeuses, dans les librairies où un nouveau rayon ne cesse de s’étoffer : celui des manuels de développement personnel (simplifié DP). Je réinvente ma vie, La Guérison des 5 blessures… mais aussi chez les spécialistes, de plus en plus nombreux…

 

Si aller voir un psychologue semblait une évidence pour se sentir mieux il y a encore quelques années, aujourd’hui c’est vers des hypnothérapeutes, coachs de vie, thérapeutes holistiques et même déco-thérapeutes que nous pouvons nous tourner, moyennant quelques séances d’une cinquantaine d’euros. D’après une étude de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, il y aurait plus de 4000 psychothérapeutes non reconnus. Vous aurez sûrement noté l’emploi du terme «sectaire». En effet, quand ce n’est pas reconnu par l’Ordre des Médecins, il y a méfiance. Pour tenter de mieux cerner les enjeux de ce phénomène, nous sommes partis à la rencontre de ces nouveaux praticiens.

 

« On ne s’improvise pas coach ou hypno, au mieux ce sera inutile, au pire ce sera destructeur. »

Lucas est hypnothérapeute depuis 1 an. Après une licence en psycho à Tours, il a tenté un Master mais la vision du praticien en psychologie l’a gêné. Pour lui, « psychiatrise la psychologie ». Les ayants-besoin sont trop souvent renvoyés vers la psychiatrie avec une prise de traitement qui peut durer des années, le tout sans thérapie. « On a tendance à vouloir solutionner rapidement des problèmes de long terme. » Il différencie bien sûr cela des cas d’urgence où une médication permet d’empêcher un individu de se mettre en danger, lui ou son entourage. C’est auprès de l’ARCHE, un organisme de formation en hypnose, qu’il a obtenu un diplôme d’hypnothérapeute et exerce maintenant à domicile pour des questions financières. « Louer un cabinet, c’est vraiment un budget. » Sa spécialité, c’est le trauma : « Je trouve ça passionnant, c’est une boucle qu’il faut briser, dans laquelle remettre du mouvement. » Le but de ses séances, fortifier ses clients pour leur permettre d’affronter de futurs situations compliquées.

 

Nous nous arrêtons et lui demandons s’il est correct d’employer le terme client. « Ma profession n’est pas reconnue par l’Ordre des Médecins, et patient est un terme protégé. Le mot client est problématique car trop mercantile à mes yeux. Je préfère parler d’ayant-besoin. » Il continue en pointant du doigt une certaine hypocrisie du monde médical en revenant sur la possibilité d’utiliser l’hypnose pour l’opération de tumeurs du cerveau, chose faite depuis plusieurs années au CHU de Tours, notamment par Éric Fournier dont nous vous parlions ici.

 

Comment se passe une séance d’hypnose ? Tout commence avec la détermination d’un objectif, moment où la personne explique les raisons de sa venue. Ensuite vient la phase d’induction, c’est-à-dire, l’induire en état d’hypnose. C’est une fois en trans hypnotique que le travail peut débuter : « C’est le moment du recul sur soi, on arrive à un autre point de vue sur son fonctionnement. » En moyenne, 4 à 6 séances sont nécessaires.

 

Soulager des traumatismes, c’est aussi dans les cordes de la psychologie. L’hypnothérapie ne serait-elle pas juste de l’enfouissement ? Lucas répond qu’en hypno on se base sur les neurosciences pour atteindre l’inconscient : « On va directement au coeur du problème, on met les mains dans le cambouis, c’est pas juste pour lustrer la carrosserie. » Il comprend que c’est une pratique qui ne correspond pas à tous et surtout, qu’il ne peut pas tout faire. La formation, quelque soit la discipline, reste essentielle pour comprendre les rapports entre praticien et client. « On ne s’improvise pas coach ou hypno, au mieux ce sera inutile, au pire ce sera destructeur. » Le danger, c’est la grille d’interprétation de chacun et la projection de sa vision de la vie sur un autre. Pour lui, c’est clair et net : des conseils tels que penser positif ou voir le bon côté des choses restent des approches trop superficielles.

 

« Comme il n’y a pas de formation obligatoire, certains en profitent, ça fait du fric. » 

Changement d’ambiance dans le cabinet de Pastel Coaching en plein Vieux Tours. Damien nous accueille dans un décor scandinave qui tranche radicalement avec la cage d’escalier en bois craquelant qui dessert l’immeuble. Installé sur un petit fauteuil, tenue civile et grand sourire, il se présente. Pastel Coaching existe depuis 10 ans, Damien l’a fondé pour « accompagner l’humain ». « Attention, je ne suis pas psychologue mais j’en ai bouffé, j’étudie un peu de tout. » Son domaine d’action s’étend du coaching professionnel tout en passant par des accompagnement enfant/parentalité/famille. Comme l’encadrement administratif du statut de coach est assez floue, il a dû se déclarer en tant qu’auto-entrepreneur. « À l’époque y’avait personne, ça n’existait pas comme métier. » Damien débite un flot de paroles impressionnant, il nous est difficile d’en placer une. On réussi à le ramener sur notre sujet et à revenir sur l’aspect financier de cet accompagnement et les abus qui en découlent. Tout de suite, il rebondit sur l’existence de formations «bidons» à 6500€ pour devenir coach. « Comme il n’y a pas de formation obligatoire, certains en profitent, ça fait du fric. »

 

Avant de se lancer dans cette entreprise, il était sportif de haut niveau jusqu’à un accident l’empêchant de continuer la pratique du judo. Ce qui lui restait, c’était l’enseignement. Son entraîneur lui a proposé d’accompagner d’autres élèves du club. « Trouver la faille en trouvant les forces de l’autre, c’est ce que j’ai voulu enseigner. » Il continue son bout de chemin en tant qu’éducateur sportif et retrouve un ami d’enfance qui deviendra son mentor alors qu’il entre dans la vingtaine. Le discours qui l’a marqué : « Si tu ne sais pas, tais-toi et quand tu sauras, tais-toi encore plus. Écoute, apprends à écouter et quand tu parles, dis juste ce qu’il faut. » Tout en continuant l’enseignement du judo, Damien a suivi de multiples formations que ce soit en psychocriminalité, hypnothérapie, programmation neuro-linguistique… Des termes qui nous perdent un peu.  Résultat, il propose une carte de prestations longue comme un bras.

 

En ce qui concerne le coaching en ligne, sur les nombreux programmes, onéreux à notre non grande surprise, il a aussi des choses à dire. « Y’a des mauvais coachs qui passent leur vie sur les réseaux pour recracher des trucs qu’on trouve dans les livres à 30 € à la Fnac. » Damien l’assure, se défend, il n’en fait pas partie. « J’ai mis ma tête deux fois sur les réseaux, je déteste ça. » Il ne veut pas traiter simplement la forme et se risquer à camoufler des traumas. L’injonction au bonheur le dépasse, toujours paraître heureux c’est ce que font les instagrammeurs. « Ils sont complètement claqués, quand on discute avec-eux dans la vraie vie ils sont tristes, ils n’ont pas de vie. »

 

« Y’a pas de formule pour la confiance en soi, je ne peux pas le faire pour toi. » 

Damien l’admet, « c’est épuisant d’accompagner l’humain. » Il est un peu moins patient face à quelqu’un qui, pendant 10 séances passera sont temps à répéter « je ne vais pas bien, je n’y arrive pas. » Le coach brûle d’envie de lui dire « Qu’est-ce que tu attends, sors et parle aux gens ! Y’a pas de formule pour la confiance en soi, je ne peux pas le faire pour toi. » Bien entendu, il ne le dit pas mais il a décidé de se diriger vers l’accompagnement parents, enfants et création d’entreprise. Financièrement, tout roule et il a décidé de travailler moins pour privilégier sa vie de famille. « Bosser 70 heures semaine alors que j’approche des 40 piges, bof, je préfère travailler et gagner un peu moins et espérer voir mes gamines à 18 heures. » C’est ça le bonheur pour Damien, profiter des moments simples, s’en contenter et s’émerveiller.

 

Moins travailler, ce n’est à la portée de tous. Pourquoi ne pas agir directement sur le bien-être au travail, lieu où nous passons le plus clair de notre temps ? C’est ce que Lucie Caldwell et Jean-Marc Sauveur proposent avec leur programme Be & Rise. La psychologue clinicienne et le coach en entreprise nous accueillent au sein de leur magnifique cabinet. Parquet chevron, cheminée… tout le charme des maisons bourgeoises tourangelles. Ils ont décidé de créer un accompagnement qui mêle psyché de l’individu, comportement et communication pour faire tomber la barrière entre coaching et psychologie. Concrètement, les deux acolytes sont appelés par des entreprises qui souhaitent améliorer le bien-être de leurs employés et sont prête à remettre certaines de leurs pratiques en question. « On secoue les entreprises et on a une relation limpide et claire avec elles. » À l’instar de Lucas, l’hypnothérapeute mentionné plus tôt, ils souhaitent obtenir des résultats sur le long terme en solidifiant intérieurement les individus pour une simple raison : l’environnement a toujours un impact sur l’individu.

 

Le bien-être au travail, ça semble merveilleux. Mais Be & Rise s’occupe principalement de managers et des cadres, au sein d’entreprises volontaires. Lucie et Jean-Marc ne peuvent qu’espérer des retombées positives de leurs enseignements pour les groupes d’employés dirigés par les bénéficiaires de l’accompagnement. Ils reconnaissent leur limite d’action quand bien même il va des soit que chacun se sente bien au travail. Lorsque c’est un employé seul qui vient les rencontrer, ils ne peuvent faire un retour à l’entreprise et prennent de multiples précautions : « Il n’est pas possible de coller des étiquettes sur un extérieur dont on ne connaît rien. » 

 

Lucie et Jean-Marc n’ont pas les mêmes boîtes à outils, c’est ainsi qu’ils se complètent. Si Jean-Marc est coach, il sait rester à sa place. « Quand je sens une limite, c’est Lucie qui prend le relais. En aucun cas un coach ne peut gérer une dépression, ce n’est pas son métier. » Il est là pour donner des conseils en communication, Lucie se charge des résistances de la psyché. Leur but n’est pas d’uniformiser les individus mais de leur permettre de sortir des schémas de routine tout en s’adaptant à l’individu. Ça sonnerait presque comme du développement personnel. Pourtant la psy et le coach sont clairvoyants sur le potentiel marketing du concept. Dans notre société de consommation et d’immédiateté, le DP serait « la recette magique permettant de retrouver énergie et motivation en deux secondes. » L’être humain est profondément complexe et le DP propose une solution à l’extérieur de l’individu au lieu de chercher en soi. Lucie le résume : « Les gens cherchent des solutions extérieures pour se définir mais ça ne tient pas, ce n’est pas en adéquation avec qui ils sont. » Pour eux, c’est une appellation vide de sens puisque c’est déjà l’objectif de chacun de « se constituer et trouver sa place dans le monde. »

 

Tout deux rejettent la position de sachant mais insistent sur la nécessité d’être accompagné par des professionnels. « On ne va pas se faire couper les cheveux chez le boucher » plaisante Lucie. Face à la multiplication de l’offre coaching et des diplômes non reconnus par l’Ordre des Médecins, ils comprennent que la population se sente perdue. De leur côté, ils souhaitent dépoussiérer l’image de la psychologie en offrant un accompagnement plus en adéquation avec les problématiques actuelles, notamment la perte de sens et des valeurs du travail. Comprendre ses résistances est une première étape, passer à l’action est encore mieux.

 

La certitude que l’on peut tirer de ces entretiens, c’est la marchandisation du bonheur par le concept de développement personnel. Les manuels, écrits ou vidéos sont légion et s’inscrivent dans une perspective de consommation. En traitant les problèmes en surface, . Autre point à noter, le danger potentiel de ce mouvement. Désarmés et perdus dans une société où les afflictions mentales sont taboues et minimisées, les ayants-besoin ont soif de solutions. Le développement personnel peut sembler acceptable car tendance. Il rassemble tout un tas de conseils bateau que nous avons tous un jour reçus ou donné : ne soit pas défaitiste, ça va passer, lève-toi à 5h du matin, médite, bois du jus de carotte et change ton hygiène de vie (oui oui, ce sont les miracle morning). Loin de vous proposer une solution, cet article n’est qu’une tentative d’état des lieux. Les problématiques ont bel et bien changé et l’offre est en mutation, on refuse de plus en plus de mener une vie pleine de concessions. Ce que l’on peut espérer, c’est que cette multiplication permette à plus d’individus de trouver une solution en adéquation avec leur personnalité.

Facebook
Twitter
Email

La météo présentée par

TOURS Météo

Inscription à la newsletter