Gilets Jaunes : des motivations à l’épreuve du temps

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« On sera là tous les samedis ! » : ce cri du cœur est lancé à quelques mètres de la préfecture de Tours ce 12 janvier 2019, à l’adresse d’une colonie de gendarmes mobiles retranchés dans une petite rue et prêts à intervenir. Nous en sommes déjà à l’Acte 9 des Gilets Jaunes. Depuis le 17 novembre, chaque week-end, nous avons couvert leurs rassemblements. Combien y en aura-t-il encore ? 5 ? 10 ? 50 ? Nul ne le sait. Mais leur récurrence commence à avoir un impact sur la façon dont on fait de la politique en France.

Au début, dans les manifestations, nous rencontrions essentiellement des personnes peu habituées de la mobilisation. C’était le côté singulier du mouvement. Les plus motivé(e)s restent fidèles aux rendez-vous hebdomadaires mais entretemps des militantes et militants qui ont l’habitude de défiler depuis des années ont rejoint les rangs pour éviter l’essoufflement de cet ouragan social et – au passage – donner un nouvel élan à leurs propres revendications. Qu’il semble loin le débat de départ autour de la taxe carbone… La pression fiscale, le pouvoir d’achat et la justice sociale restent au cœur des cortèges mais on entend aussi de plus en plus souvent cette rengaine : « anti, anti-capitaliste ! », entre deux « Macron Démission » et des slogans ou chansons aux termes particulièrement fleuris.

Au fil des semaines, les Gilets Jaunes sont d’ailleurs passés d’une défiance envers les actions du gouvernement à l’expression d’un ressentiment contre les institutions en général. Les répressions policières débutées lors de l’Acte 2, intensifiées dès l’Acte 3, et régulières depuis l’Acte 4 sont souvent perçues comme excessives, disproportionnées voire illégitimes. Il est maintenant très clair qu’une partie des rangs est composée de personnes venues pour marquer une opposition aux forces de l’ordre qui symbolisent le pouvoir étatique. Un échantillon minoritaire mais non négligeable cherche même clairement l’affrontement, souvent à coups de provocations verbales, parfois physiques.

Des policiers nerveux qui ont tendance à s’impatienter

Faciles à repérer, ces individus ne constituent pas le gros des troupes. En tout cas au début des rassemblements. Mais au fil des heures, la proportion de Gilets Jaunes baisse et celle des cagoules augmente. La distinction doit être faite. Il n’est pas rare de croiser des manifestants agacés par les débordements répétés. Pour éviter leur systématisation, malgré des rassemblements non déclarés, les forces de l’ordre ont changé leur stratégie. Elles ne sont désormais postées qu’au commissariat de Tours et Place de la Préfecture et laissent les manifestants déambuler tant qu’ils ne s’approchent pas trop près de ces deux points là. Mais en face, la tête du cortège s’évertue invariablement à diriger les troupes vers les rues Marceau et Buffon. Résultat : policiers et gendarmes finissent par s’agacer et s’impatienter. Et tentent de disperser la foule, avec plus ou moins de succès.

Ce qui devient une routine désagréable dessert les Gilets Jaunes autant qu’elle maintient l’attention sur leur mobilisation. « S’il ne se passait rien, on nous oublierait » disait l’un d’eux en substance samedi soir alors que les derniers camions à gyrophares quittaient la Place Jean Jaurès. Le serpent se mord la queue, mais c’est aussi parce que le gouvernement n’a toujours pas trouvé l’antidote. Ce mardi, il va lancer un vaste Débat National censé l’aider à renouer durablement le dialogue et à dégager des solutions capables de calmer les revendications. Dans les rangs de l’Acte 9, l’initiative rend au mieux sceptique, surtout quand Emmanuel Macron sort au même moment une petite phrase sur le sens de l’effort devant des boulangers. Comme le chômeur à qui il a conseillé de traverser la rue, ce type de propos est interprété comme une provocation envers une partie de la population à qui on semble faire des reproches métaphorés plutôt que de l’encourager concrètement à chercher des solutions à son mal-être.

Rencontre avec Adrien, venu manifester avec son fils

L’idée qu’une partie du peuple n’est pas prise en compte dans le débat public a convaincu Adrien de venir manifester. Nous avons eu un échange intéressant avec cet enseignant-chercheur avant le départ du défile du 12 janvier. Père de 3 enfants, il vit à Tours depuis 3 ans après avoir quitté la région parisienne. Il est venu chercher en Touraine la possibilité de vivre dans le centre d’une ville dynamique ce qui n’était pas possible pour lui autour de la capitale, avec ses prix immobiliers délirants. Le voilà donc à faire la navette pour travailler, lui le cycliste sans voiture qui ne se reconnaissait pas trop dans les premières revendications du 17 novembre mais qui a très envie de marcher depuis que l’organisation de la démocratie est au premier plan du débat.

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Accompagné de son fils de 10 ans « et presque 11 », Adrien se rend donc pour la première fois dans un cortège de Gilets Jaunes. Parce qu’il travaillait avant, mais aussi pour éviter un affaiblissement de la mobilisation qu’il redoute. « Je n’ai pas voté pour ce gouvernement » insiste le père de famille qui avait choisi Mélenchon au 1er tour en 2017. En 2002, il avait voté Chirac sans hésiter pour contrer Le Pen père. Aujourd’hui, il a déjà oublié son choix du second tour de 2017 entre le bulletin Macron et l’enveloppe nulle. L’universitaire est catégorique : le chef de l’Etat est un homme de droite. Son programme était de droite, et sa gouvernance est droitière. Il dénonce son attitude méprisante vis-à-vis de la classe ouvrière, et ne supporte pas sa vision sur la répartition des richesses.

« Aujourd’hui les gens sont prêts à voter »

« Une autre politique est encore possible » assure Adrien qui espère une révision du fonctionnement des institutions politiques françaises, se disant prêt à prendre le risque d’une proportionnelle intégrale pour les élections législatives, c’est-à-dire à voir potentiellement débarquer un gros bataillon d’élus d’extrême droite à l’Assemblée Nationale. Son argumentaire se base sur les résultats de la présidentielle 2017, et sur le fait que Jean-Luc Mélenchon n’était « pas si loin » du score de Marine Le Pen. Donc que lui aussi pourrait avoir un groupe parlementaire bien plus important qu’aujourd’hui.

Mais pour que les idées profondes du peuple soient réellement représentées dans l’échiquier politique, il faut qu’une proportion plus grande de citoyennes et de citoyens aille aux urnes. Adrien en est persuadé : « aujourd’hui les gens sont prêts à voter. Il y a une ouverture possible. » On pourra s’en rendre compte dans un peu plus de 4 mois, lors des élections européennes. Traditionnellement, ce scrutin mobilise très, très peu. Ce sera peut-être encore le cas, ou pas. Ou un peu moins que lors du précédent vote en 2014. Ce sera en tout cas un premier test. Depuis le 17 novembre, la France est en débat politique permanent. C’est complexe, strident, mais aussi palpitant et fondateur. Malgré des dérives persistantes, on prend régulièrement le temps d’échanger sur des idées plus que sur des personnalités. Un signe incontestablement positif. Et si ça tient dans le temps il sera difficile de s’en plaindre.


Photos : Pascal Montagne

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