EXCLU : La grande interview de Marie-Noëlle Gérain-Breuzard, directrice du CHU de Tours

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Le CHU de Tours est le premier employeur de la région Centre-Val de Loire. C’est une vitrine nationale, classé 5ème hôpital de France par Le Point. Mais c’est aussi un lieu en pleine mutation, entre sa rénovation programmée pour 2026 et les réorganisations déjà en cours. Service public par excellence, l’hôpital concentre tous les regards. Chacun l’idéalise selon sa vision de la santé. Dans ce contexte, à Tours, les désaccords ne manquent pas et les conflits sont fréquents. Pour la première fois depuis de longs mois, la directrice du CHU Marie-Noëlle Gérain-Breuzard s’exprime en longueur pour détailler sa vision.

Le plan CHU 2026 :

Annoncé il y a de longs mois, ce plan de transformation de l’hôpital entre dans sa phase concrète en 2018. « Ce n’est pas que construire des murs » veut préciser la directrice de l’établissement : « l’hôpital tient sur 4 pieds, la qualité de service aux usagers, la recherche et l’innovation, la qualité de vie au travail et la recherche de l’efficience médico-économique. Il faut continuer à le faire évoluer sur ces 4 pieds. »

Cela dit, à Tours, l’immobilier est un pied plus fragile que les autres : « ¾ de nos structures sont vétustes », pointe Marie-Noëlle Gérain-Breuzard au sujet des vieux bâtiments du XVIIIème siècle, ou de la tour de Trousseau, « nos conditions d’accueil ne correspondent plus aux standards attendus par les patients. Nous ne sommes pas dignes. »

Afin de faire du seul CHU régional un hôpital digne du XXIème siècle, ses 5 sites actuels (3 à Tours, 1 à Chambray, 1 à St Cyr) vont être regroupés en 2 lieux d’ici 8 ans : Bretonneau à Tours-Ouest et Trousseau à Chambray-lès-Tours. « On a lancé le concours d’architectes cet été. 16 cabinets ont répondu, il y a une dizaine de jours un jury en a sélectionné 4. Ils vont plancher jusqu’à l’été et l’un d’eux sera choisi d’ici le mois d’octobre. »

Pour ce projet, 320 millions d’euros de budget sont annoncés : 23% du coût sera supporté par l’État (environ 75 millions d’euros), et le reste par l’hôpital via de l’autofinancement et de l’emprunt. Deux acteurs, donc. Pas plus. « On s’est tourné vers la métropole pour un soutien mais la réponse a été que l’investissement pour le CHU c’était d’aider à la mobilité avec la seconde ligne de tramway à l’horizon 2024-2025 », note Marie-Noëlle Gérain-Breuzard, « quant à la région elle nous a fait comprendre que sa compétence était de l’ordre de la formation et de la recherche et qu’elle ne pourrait pas accompagner ce projet… Même si elle l’a fait pour d’autres métropoles… »

Le plan des travaux :

Une fois le cabinet d’architectes choisi, le CHU lui laissera 18 mois pour élaborer ses plans en collaboration avec les personnels. La directrice envisage le premier coup de pioche en 2020 avec. l’objectif de rapproche l’hôpital Trousseau de l’Avenue de la République alors qu’aujourd’hui il est situé à 400m de cet axe.

Plusieurs nouveaux bâtiments bien moins hauts que l’actuel (12 étages) et bénéficiant du label Haute Qualité Environnementale seront érigés, ce qui permettra de maintenir les activités dans la vieille tour pendant tout le chantier. Le futur établissement avec plateaux techniques, urgences, chambres et blocs opératoires viendra ensuite s’accoler à l’extension où sont rassemblés aujourd’hui plusieurs services de consultations. A noter que l’idée de rénover la tour actuelle a été abandonnée car trop coûteuse et nécessitant 6 ans de travaux en plus. Elle sera donc démolie après 2026.

Toujours dans le souci d’améliorer l’accessibilité de l’hôpital, Marie-Noëlle Gérain-Breuzard plaide pour que la ligne B du tramway passe au cœur de Trousseau, suivant le tracé actuel des bus 2 et 3 afin de desservir le CHU mais aussi les écoles paramédicales ou le futur centre de psychiatrie : « en 2026 on est sur une structure qui verra passer 5 000 professionnels et 1 000 étudiants chaque jour. 10 000 personnes et 2 000 étudiants en 2040 si le projet de regrouper tout le CHU sur un site aboutit. La mobilité, il faut y penser dès maintenant. »

Autre point qui n’avait pas été abordé jusqu’ici : l’hôpital pédiatrique de Clocheville pourrait déménager à Trousseau, et non à Bretonneau comme imaginé : « c’est en débat, ça fait sens pour les pédiatres » estime la directrice du CHU. « Le dossier présenté prévoyait de transférer la pédiatrie dans le bâtiment B3 de Bretonneau car demain l’ORL et l’ophtalmo qui y sont partiront à Trousseau. L’idée est de ne pas mélanger enfants et adultes, de garder une entité pédiatrique avec des urgences dédiées, des consultations dédiées… On peut le faire sans difficulté à Bretonneau mais on étudie l’hypothèse Trousseau car cela permettrait d’avoir un bâtiment conçu dès le départ pour la pédiatrie ou de bénéficier des hélicoptères qui n’arrivent pas à Bretonneau. » Cela dit, cette option a un coût supplémentaire à chiffrer.

En 2040, un seul hôpital à Trousseau ?

L’hypothèse est franche, assumée. Mais pas encore validée : « nous ne sommes pas seuls à décider. Cela dépendra de la tutelle du ministère de la santé et de Bercy » prévient Marie-Noëlle Gérain-Breuzard. Au-delà des finances, la question est de savoir s’il ne faut pas tout simplement garder un hôpital en centre-ville : « on peut se dire que c’est important » reconnait la directrice qui ajoute dans la foulée qu’aujourd’hui « les grosses réalisations hospitalières se font sur un seul site comme à Orléans ou à Nantes. Les médecins sont les uns avec les autres, et cela permet de faire des économies. » Dans tous les cas ça ne se fera pas avant 2040, date à laquelle le site de Bretonneau sera financièrement amorti (on vient quand même d’y inaugurer un nouveau bâtiment de néonatologie).

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L’avenir des sites actuels de l’hôpital :

Pour financer une partie de l’investissement sur Trousseau, le CHU de Tours compte sur la vente des locaux de l’Ehpad de l’Ermittage et sur les bâtiments qu’il possède à Clocheville (un quart des constructions). Les ¾ restants et la clinique psychiatrique de St-Cyr-sur-Loire appartiennent à la ville de Tours. Et des discussions sont engagées avec la mairie car à l’horizon 2029 le CHU souhaiterait assurer une activité ambulatoire sur Clocheville, dédiée aux adolescents, « et ce serait préférable en centre-ville, cette implantation est donc précieuse. On a déjà un centre en face mais il ne répond pas à tous les besoins. » Le débat est ouvert, sachant que ce projet aussi n’est pas financé à ce jour.

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Lits et personnels :

Aujourd’hui le CHU de Tours c’est 1 670 lits. En 2026, 1 420. Justification de la directrice : d’ici là, il y aura plus d’interventions en ambulatoire. « L’objectif national c’est 70% en 2022 et nous travaillons sur une hypothèse autour de 60%. On est à 38% aujourd’hui, 35% pour les adultes, 49% pour les enfants et ce chiffre croit tous les ans de 3 à 5 points. Les séjours se raccourcissent mécaniquement. »

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Concernant le personnel, de source syndicale on évoque 400 emplois en moins, environ 5% du total au CHU. Mais Marie-Noëlle Gérain-Breuzard ne donne pas de chiffres : « ça se négocie service par service. Les syndicats sont informés, on ne le fait pas clandestinement. On discute, c’est compliqué, ça prend du temps. » Consciente que le sujet est sensible, elle tente de rassurer : « l’an dernier on a supprimé 125 postes, on en a créé 121. Certains que l’on imaginait pas. Certes on ferme des lits mais en parallèle on développe des structures ambulatoires. On a fermé 12 lits en orthopédie mais on a remis de l’emploi dans le service pour développer des techniques de prise en charge plus rapides. Je comprends les inquiétudes mais on n’est pas chez Tupperware : 280 personnels partent de manière naturelle chaque année. Tous les ans, il y a une trentaine d’emplois que l’on ne pourvoie pas de nouveau mais on ne met personne dehors. »

Le climat social:

Il ne se passe presque pas un mois sans un conflit au sein du CHU de Tours. Le dernier en date autour de la neurochirurgie, avec un mois de grève. La directrice de l’hôpital a du mal à accepter certaines positions syndicales : « avec certains on discute. On n’est pas toujours d’accord mais on arrive à négocier. Quand j’ai face à moi d’autres interlocuteurs avec des postures politiques qui s’opposent par définition à tout ce qui change on a du mal à tomber d’accord. Ça nous use et ça doit être le but. Pourtant j’ai le sentiment de souvent faire des pas : on a par exemple créé 3 emplois supplémentaires en neurochirurgie. Il n’y a pas d’un côté les syndicats qui défendent l’humain et de l’autre le méchant directeur avec son tableau de chiffres. Je comprends l’envie de construire cette réalité mais ce n’est pas ça. »

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En parallèle, Marie-Noëlle Gérain-Breuzard affirme plancher sur une amélioration de la qualité de vie au travail avec par exemple une gestion des plannings retravaillée pour mieux gérer les remplacements et rendre l’organisation du temps de travail plus stable, « on espère aussi pouvoir avoir moins de contractuels et titulariser ces personnels précaires. » nous dit-elle. Des EAE (entretiens annuels d’évaluation) vont également être mis en place.

Devoir de réserve et dysfonctionnements de l’hôpital :

Récemment, Le Canard Enchaîné a sorti une note de la directrice du CHU rappelant le devoir de réserve des agents suite à des critiques formulées dans la presse. Marie-Noëlle Gérain-Breuzard assume sans sourciller : « je n’avais jamais vu écrit comme récemment que la santé des patients était en danger. Quand on est dans la délation ou la diffamation c’est à moi de rappeler aux professionnels qu’il ne faut pas aller trop loin. Ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas le droit de s’exprimer mais des choses ont été inventées comme sur le temps des toilettes à l’Ehpad, visage-cul-main en 5-10 minutes : ça c’est scandaleux. Et cela jette le discrédit sur la manière dont on travaille. J’ai rencontré les personnels, ils n’étaient pas bien après ce qui a été dit. » Elle reconnait néanmoins des difficultés : « 10h d’attente aux urgences, que des personnes n’aient pas eu à manger ou que des jours on ait manqué de linge je ne vais pas dire que ça n’existe pas mais insinuer que l’on fait courir des risques aux patients, c’est une grosse différence et ce n’est pas vrai. »

Afin de faciliter le traitement des urgences, la création d’une maison médicale de garde est à l’étude à proximité de Trousseau pour y orienter par exemple les personnes dont la situation n’est pas réellement urgente.

Hospitel :

Dans le cadre de la transformation du CHU, et pour faire des économies, Tours va tester ce que l’on appelle l’Hospitel. En clair : au lieu de dormir à l’hôpital avant ou après une opération, le patient est dans un hôtel classique, « pour ceux qui le peuvent et qui le souhaitent » note Marie-Noëlle Gérain-Breuzard. Le coût du transport du domicile du patient à l’hôtel serait pris en charge par la sécurité sociale, le prix de la nuit et du transport jusqu’à l’hôpital par le CHU. « Ce serait environ 100€ contre 1 500€ pour le coût d’une chambre à l’hôpital. Cela pourrait aussi libérer des lits pour les urgences. » Le dispositif, lui aussi critiqué, sera néanmoins en vigueur dès cette année.

Cuisine :

Le CHU pourrait-il mutualiser sa cuisine avec la cuisine centrale de Tours qui fait les repas pour les écoles ou les crèches ? « On est en train de l’étudier » dit Marie-Noëlle Gérain-Breuzard. « Si cela a du sens, on le fera. » A voir néanmoins comment le financer…

Déficit du CHU :

La directrice dément l’aggravation des difficultés financières de l’hôpital : « nous avions un déficit de 8,7 millions d’euros en 2016, autour de 8,4 en 2017. Oui nous faisons partie des 46% d’hôpitaux français en déficit mais non l’hôpital n’a pas été mis en contrat de retour à l’équilibre. » A noter que cette situation n’empêchera pas le CHU d’investir 330 millions d’euros dans les 8 prochaines années, en plus du plan CHU 2026, soit donc 650 millions d’euros à trouver au total.

Le CHU en région :

« Notre doyen dit que le problème n’est pas le numerus clausus à la fac de médecine mais le fait de réussir à garder les étudiants dans la région. Ce n’est donc pas de créer une année de PACES partout et augmenter le nombre d’étudiants en première année de médecine qui va régler le souci. On créera plus de désespérance. Il faut plutôt que les étudiants apprennent à connaître le Centre-Val de Loire, qu’on le promeuve auprès d’eux, qu’ils puissent faire des stages à Bourges, Châteauroux ou Chartres… On y travaille avec les départements du Cher et de l’Indre » dit la directrice tourangelle.

Et l’éventuelle ambition d’Orléans d’accéder au stade de CHU ? Marie-Noëlle Gérain-Breuzard fait la moue pour défendre le statut de Tours « alors que l’on réfléchit déjà à diminuer le nombre de CHU en France pour en garder une dizaine… » Et travailler en liens étroits avec le CHRO ? « C’est déjà compliqué avec Chinon et Loches, alors à 150km… » C’est dit. En revanche Marie-Noëlle Gérain-Breuzard compte bien se battre pour défendre le centre interrégional de greffes d’organes impliquant un maintien de l’aéroport de Tours. A ce sujet, lire notre article sur Info Tours.

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Propos recueillis par Mathieu Giua et Olivier Collet

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