Du premier violon à la première consultation, le quotidien d’une luthière à Tours

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De l’opéra aux salles de concerts, quel que soit le type de musique, Tours compte de nombreux musiciens amateurs et professionnels. Parmi eux, pas mal de violoncellistes et violonistes qui viennent régulièrement consulter la “docteure violoncelle”, la luthière Cécile Grange.

 

On le reconnaît pour son galbe féminin qui inspira la plus célèbre photographie de Man Ray, un objet de 350 grammes composé des plus précieuses essences de bois, supportant les 27 kilos de tension exercée par ses cordes : c’est le violon. Un instrument majeur dont certains exemplaires plusieurs fois centenaires sont encore joués aujourd’hui. C’est là tout l’univers de Cécile Grange, qui nous accueille dans son atelier Rue Bernard Palissy à Tours, alors qu’elle restaure un violon du XVIIIème siècle.

Dans le métro, la Scala ou le Carnegie hall, sur tous les continents et dans toutes les cultures, les mélodies du violon résonnent depuis des siècles. Probablement découverts au hasard d’une vibration produite par le frottement d’une flèche sur les arcs de nos ancêtres, les premiers instruments à cordes frottées ont abouti au violon moderne. Un monument musical dont un certain Antonio Stradivari a défini la forme définitive au XVIIème siècle, ancrant ainsi une tradition qui n’a pas varié depuis trois siècles.

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Le « bloc opératoire » de Cécile Grange

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Restauration d’un violon

Plus de 200h pour créer un seul violon

Et précisément, le meilleur ami du violon, c’est le temps. Le bois utilisé pour un instrument professionnel peut sécher pendant 10 ans avant d’être travaillé, le vernis appliqué délicatement au pinceau, 2 mois. Alors pour bien faire les choses, pour obtenir le son parfait, il faut du temps. « Il faut être patient quand la création d’un seul violon prend plus de 200 heures » indique Cécile Grange. Et c’est le sacerdoce des luthiers, consacrer chacun de leurs jours à améliorer la tonalité de ces instruments à cordes frottées si précieux aux oreilles de leurs musiciens. Et permettre également aux amateurs et mélomanes d’apprécier toute la richesse de leur musique préférée, qu’elle soit classique, tzigane, jazz, rock, ou encore électro. De Bach et bien d’autres compositeurs classiques, en passant par Stéphane Grapelli pour le jazz, jusqu’à AC/DC avec les violoncellistes croates de “2cellos”, on connaît tous cette sonorité puissante et enveloppante.

Créer ou entretenir des violoncelles, des altos, des violons, ce n’est pas une histoire d’amateurs. Ces instruments sont bien plus qu’un violon d’Ingres pour Cécile Grange. « J’ai une chance rare, j’allie ma passion et mon métier depuis 35 ans » confie-t-elle. De ses mains gracieuses, elle les fait naître parfois, les soignent souvent, les admire toujours, après 23 années de lutherie à Tours.

Cette passion, c’est un monument d’élégance. Constitué d’épicéa, d’érable, d’ébène, et de palissandre, chacune de ces essences forme un délicat puzzle. Un violon est un édifice complexe et secret, de belles lignes formées par la table, le chevalet, la volute, où se dissimulent de multiples autres pièces, tels que le bouton, les éclisses, les taquets, le tout formant un équilibre subtil. Enfin, « il y a l’âme qui est une des pièces les plus importantes car c’est elle qui transmet les vibrations des cordes à travers tout le corps du violon » ajoute Cécile Grange. Une fois sous le menton de son propriétaire, le violon s’exprime sous le frottement de l’archet, dont le crin de cheval peigné et enduit de colophane (de la résine de pin purifiée), permet une vibration régulière et pure des cordes, produisant ce son identifiable entre mille.

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Application d’un vernis

“Après un accident sans gravité dans la 4L de mes parents, mon violoncelle était brisé. C’est en voyant une luthière penchée sur les fractures de mon instrument, que j’ai voulu devenir docteur violoncelle comme je le disais à l’époque”

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Etape finale de fabrication d’un archet

Un métier basé sur les sensations

Pour ses clients, Cécile Grange est bien plus qu’une artisane, c’est la médecin attentive qui suit chaque évolution du musicien et de son outil, qu’il soit de grand talent ou totalement débutant, prenant soin de leur indispensable moyen d’expression musicale. Elle connaît intimement chaque courbe des violons, violoncelles, violes, altos, contrebasses, qui passent sous ses mains délicates. Son métier est basé sur les sensations, elle touche, elle palpe, elle sent, elle lorgne chaque millimètre et chaque organe de l’instrument. Après auscultation, cela peut aller d’un simple changement de cordes, à l’opération chirurgicale d’un violon brisé par le temps.

Dans son échoppe de la rue Bernard Palissy, au centre de cette pièce cernée d’instruments, on découvre l’atelier. On dirait un bloc opératoire sous l’éclairage scialytique de deux lampes. C’est l’univers de Cécile Grange qui y scie, colle, rabote, verni, déconstruit et reconstruit des instruments récents comme centenaires, d’un geste chirurgical. A chaque fois, elle porte l’attention de la praticienne expérimentée, réparant les bobos, remplaçant les pièces usées, restaurant les antiquités, faisant naître le son exact demandé par un musicien professionnel. Pas de machines ici : des scies de toutes tailles, des rabots, de fines lames, et une infinité d’outils faits maison répondant à des besoins spécifiques. « Comme tous les gens du métier, je fabrique moi-même 50% de mes outils de travail » précise Cécile Grange. De la jeune fille qui débute au conservatoire ou musicien de renom, en passant par le nombre incroyable de particuliers propriétaires d’un violon oublié des décennies au fond d’un grenier, chacun est satisfait des attentions portées à leur instrument.

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Mise en place de l’âme à l’intérieur du violon, indispensable à la transmission du son

Un travail exclusivement manuel

 

Son métier, elle l’a découvert aux alentours de 8 ans. “Après un accident sans gravité dans la 4L de mes parents, mon violoncelle était brisé. C’est en voyant une luthière penchée sur les fractures de mon instrument, que j’ai voulu devenir docteur violoncelle comme je le disais à l’époque” se souvient Cécile. Une passion qui l’amènera au sud de Nancy, à Mirecourt, la capitale de la lutherie, pour 5 ans d’études, puis chez un luthier où elle fera son compagnonnage. Aujourd’hui, cette cinquantenaire au charme tranquille est devenue une professionnelle respectée, connue de tous les violonistes tourangeaux.

Dans cet univers où tout est tradition, où tout se réalise à la main, on pourrait se demander s’il est possible de se libérer des pratiques ultra-codifiées. Les yeux de Cécile Grange pétillent : “C’est un métier où l’on peut créer, par exemple j’ai consacré près de 2 ans de travail à la création d’un instrument unique, en suivant la demande spécifique d’un musicien passionné.” Elle est également particulièrement connue pour la réalisation de violes de gambe, instrument du XVIème siècle que l’on peut entendre dans les quatuors baroques qui jouent Vivaldi, Bach ou Abel. Là encore, l’équilibre est subtil : créer de la nouveauté en s’inspirant de traditions immuables. Une ligne de crête que suivent tous les luthiers inventifs et passionnés.

A l’heure où un violon fabriqué en Chine coûte 100 euros, où les fonds d’investissements spéculent sur des stradivarius à 1 million d’euros, il y a encore des artisans qui accompagnent la marche du temps, perpétuant un savoir-faire et une culture musicale séculaire. Et qui, comme le dit et le vit Cécile Grange, sont “encore émerveillés à l’image d’une jeune musicienne poussant sa porte pour découvrir son premier violon, tel un trésor”.

Le reportage photo

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