Dialogue inédit entre les chefs de La Roche le Roy et du Nobuki

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Retrouvez le dossier principal du deuxième numéro de 37° Mag consacré à la gastronomie tourangelle…


Rencontre inédite et palpitante entre deux pépites de la gastronomie tourangelle : Maximilien Bridier de La Roche Le Roy et Jean-Nobuki Remon du Nobuki.

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Maximilien Bridier n’a même pas 30 ans. Ce blésois d’origine a connu quelques belles tables françaises et étrangères avant de prendre la direction d’une adresse ultra prestigieuse fin 2016 : La Roche Le Roy. Membre du Collège Culinaire de France, le jeune papa a du caractère et de l’ambition. Nous avons voulu lui présenter Jean-Nobuki Remon, chef franco-japonais de 42 ans, installé Rue Buffon depuis 2013 après avoir exercé à Tokyo pendant une dizaine d’années. Un cuisinier formé au lycée Bayet qui manie à la perfection l’univers du pays du soleil levant pour des recettes fines et foisonnantes.

Entre ces deux hommes, ça a matché tout de suite. Le tutoiement est de rigueur, et les voilà partis pour plus d’une heure d’échanges dans les cuisines, la cave puis un salon de La Roche Le Roy. Ils dissertent sur la création culinaire, la quête des meilleurs producteurs d’escargots, d’agrumes et d’anguilles ou la gestion d’une entreprise. Un dialogue généreux entre deux jeunes chefs aux styles très différents mais aux valeurs communes.

 

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Que savez-vous l’un de l’autre ?

Jean-Nobuki Remon : J’ai suivi le passage entre Alain Couturier et Maximilien avec engouement. Je suis content de la venue d’un jeune chef en Touraine pour reprendre l’institution qu’est La Roche Le Roy. Ces nouveaux cuisiniers, il faut les aider, en parler à nos clients si on sait que c’est bien. A Tours je crois que les choses bougent, c’est agréable.

Maximilien Bridier : Pour moi, il n’y a qu’un seul bon restaurant japonais à Tours : c’est Nobuki. Sa cuisine est excellente, simple, et bien exécutée. Quand je travaillais chez Bernard Robin, mon chef était japonais. Chez toi j’ai retrouvé des saveurs que je n’avais pas vues depuis très longtemps. En France c’est compliqué de parler de cuisine japonaise. Tout de suite on vous dit « J’adore les sushis ! », alors que ce n’est pas que ça.

JNR : On a envie de casser cette idée, l’expliquer fait partie de notre communication quotidienne. La cuisine japonaise est fondée sur des bases de travail précises : les fonds, les réductions. Ça peut être assez simple quand on les connait bien et que l’on sait les travailler. Au restaurant, nous voulions présenter ces plats traditionnels que l’on n’a pas l’habitude de voir, surtout en province. Ceux qui viennent ne sont pas déçus. Ils se mettent dans le jeu, voyagent et en ressortent ravis. Ils découvrent des choses auxquelles ils ne s’attendaient pas. Par exemple que le saké n’est pas forcément servi en fin de repas mais qu’il peut très bien s’accorder avec les plats.

Maximilien, tu fais également face à des préjugés à La Roche Le Roy ?

MB : Ce qui revient très souvent c’est « Je n’y vais pas, c’est trop cher. » Pour y répondre on montre nos prix : le midi on mange entrée-plat-dessert pour 35€. Ce n’est pas déconnant. On a du pain fait maison, un petit plateau de mignardises… Et aussi des bouteilles de vin à 30€ par des gens qui travaillent très bien.

Quels sont vos premiers souvenirs de cuisine ?

MB : Pour mon premier stage à Blois le chef m’a appris à faire de la sauce en mélangeant de la poudre et de l’eau. Ça m’a choqué.

JNR : Jusqu’à mon adolescence, nous avions une fille au pair japonaise qui faisait la cuisine à la maison. En rentrant de l’école, j’allais l’aider. J’épluchais les carottes et les patates au lieu de faire mes devoirs et j’adorais ça. Je me souviens aussi de l’arrivée de mes grands-parents maternels à Saint-Cyr-sur-Loire pour leur retraite. Ma grand-mère était fan de la macrobiotique, un mouvement culinaire popularisé au Japon au début du XXème siècle. Ce n’est pas du bio, mais un régime basé sur les énergies et l’équilibre entre les aliments. Elle nous cuisinait par exemple des racines de pissenlit, des trucs improbables mais qui reviennent aujourd’hui.

MB : Je suis le premier cuisinier professionnel de la famille. Quand j’étais gamin, on allait chez les grands-parents le dimanche pour manger le lièvre ou le lapin qu’ils avaient attrapé avec les petits pois du jardin. De bons souvenirs. A la maison, on a toujours été éduqués dans la bonne nourriture. Ce n’était pas l’opulence, mais des choses simples et bien faites.

JNR : A l’époque les produits avaient beaucoup d’importance. Il fallait manger de la qualité.

Qu’est-ce qui définit votre cuisine ?

JNR : Le plus important pour moi : cuisiner local et de saison. Je suis obligé d’importer certains produits de base du Japon mais avec l’engouement pour la cuisine japonaise, on trouve désormais des produits japonais ici comme de la bonite séchée fermentée du Finistère. Bientôt on pourra presque tout faire avec 100% de produits français.

MB : Je suis un fervent militant de la saisonnalité. Les gens ont oublié le goût des produits. Aujourd’hui ça devient compliqué d’expliquer que, non, on ne peut pas avoir de gâteau aux fraises en février ou manger une salade de tomates en janvier. On en trouve au supermarché, mais ce qu’ils ne savent pas c’est que les fraises d’hiver viennent d’Espagne et que leurs cultures sont en train de détruire le littoral. Les comportements changent progressivement mais ce sera long : il y a encore certains grands restaurants qui ont des asperges en décembre. Ici, tous les jeunes qu’on forme on leur inculque ce principe des saisons. Et ils l’inculqueront derrière parce qu’ils auront appris à travailler comme ça.

JNR : Les critiques gastronomiques et les guides commencent aussi à faire attention à la saisonnalité. De l’asperge verte dans un restaurant deux étoiles au mois de décembre ça va le casser, alors qu’avant si c’était bon on n’y pensait pas trop.  

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Comment organisez-vous vos journées ?

JNR : On travaille en couple. Nous avons deux enfants, et fait le choix de ne plus ouvrir les soirs, sauf le vendredi. Ma femme m’y a poussé même si en tant que professionnel de la restauration ça a été compliqué. Finalement c’est un rythme qui nous va, on verra plus tard quand les enfants seront grands. Pour l’instant, nous sommes à fond au quotidien, d’autant que nous avons décidé de vivre à la campagne. Il y a également la question du personnel. Un serveur on peut le former à expliquer nos plats mais il doit toujours y avoir des japonaises et des japonais en cuisine pour connaître les bases. On a de grosses difficultés à trouver à Tours, notre présence est donc indispensable.

MB : Je vais au plus urgent et j’essaie de dormir au moins 6h, avec 15 minutes de sieste l’après-midi quand j’ai de la chance. Il y a le côté chef de cuisine, et celui de chef d’entreprise. En cuisine, même si on travaille beaucoup, quand on sort, on sort. Quand on est chef d’entreprise on ne sort pas. Le matin on démarre à 6h30-7h, on va faire les courses. Après il y a la mise en place en cuisine, le management… L’après-midi les rendez-vous, ou alors les emails, la compta, la recherche de nouveaux fournisseurs… Et puis voilà, 17h30. Faut retourner en cuisine, puis les clients arrivent, on retourne au bureau… Et il est déjà minuit.

Tu te dis parfois qu’il vaudrait mieux un petit restaurant ?

MB : Absolument pas. Je n’aime pas ce qui est petit. Mais ce n’est pas parce qu’un restaurant est plus gros ou qu’une équipe est plus importante qu’il y a plus de travail. C’est différent.

JNR : Moi je suis très bien dans mon minimalisme, à la japonaise. On a eu des possibilités d’agrandissement ou de viser autre chose. Ça ne s’est pas fait et tout compte fait ça ne nous déplait pas.

Comment élaborez-vous vos recettes ?

MB : Tout sort d’un coup : dès que ça vient je prends un tas de brouillons, un ordinateur, et je dessine. Après je descends en cuisine, je montre. Certains posent des questions, proposent des améliorations car je ne peux pas penser à tout. On commande les produits, et on goûte. Ça ne marche jamais du premier coup : parfois l’idée était bonne mais le goût ce n’est pas ça ou les ingrédients ne marchent pas ensemble. Au fur et à mesure on s’aperçoit qu’on ne crée rien : même si on l’a pensé tout seul, ça existe déjà quelque part. On fait des essais comme ça pendant deux à trois semaines… On le présente au client, et même là ça s’améliore encore. Et une fois que le plat arrive au top, quelques semaines plus tard on change. C’est une grosse masse de travail donc on ne modifie pas toute la carte d’un coup.

JNR : Pour notre menu du soir on alterne et on évolue selon les produits du marché. Je pense qu’il y a moins de travail de réflexion car notre concept c’est de présenter la cuisine traditionnelle japonaise. En revanche il faut s’adapter aux clients français. Certaines fermentations traditionnelles, on n’oserait pas.

Les adresses qu’ils aiment

Jean-Nobuki Remon : « Notre boui-boui, Les Gueules Noires à Vouvray. Il a son potager et juste un menu qui évolue selon les saisons. Sinon Assa, un étoilé à Blois. Une belle découverte de cuisine fusion franco-japonaise. »

Maximilien Bridier : « J’aime beaucoup La Chope à Tours, la qualité des fruits de mer y est constante. Il y a aussi Le Turon, La Deuvalière ou Les Bartavelles. Que des jeunes qui sortent du lot avec une belle mentalité. »

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