David Forge, drone de culture

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Crise de la tomate, glyphosate, perturbateurs endocriniens… Les débats – à raison – autour de la production alimentaire lèvent peu à peu le voile sur notre relation avec l’agriculture : une profession méconnue du grand public qui souffre d’un manque de reconnaissance. A côté de Loches, David Forge, YouTubeur et agriculteur, participe à la visibilité du métier à base de vidéos documentaires léchées qui placent le travail de la terre au centre des attentions.

Sous le soleil frais du mois d’octobre, la campagne de la Touraine du sud, immense, quelque peu vallonnée, déroule ses routes sinueuses. En bout de course, à la toute fin du bitume fatiguée des environs de Loches, comme dans le creux d’une vague, se cache dans la plaine une ferme. Celle de David Forge, jeune agriculteur aux yeux noirs et plissés et au sourire en coin. « Vous avez trouvé facilement ? » Il faut connaître doit-on admettre. Plus tard, autour d’un café, nous rentrons de suite dans le sujet. « L’agriculture est beaucoup mise en jeu. C’est la base de la vie, de la nourriture. Son rôle premier fait que l’on parle beaucoup d’elle, » constate-il. Avec une population mondiale qui explose, l’horizon 2050 nous promet selon les études le seuil déroutant des dix milliards d’êtres humains sur la Terre. De quoi avoir le vertige et se poser la question que peu d’hommes politiques osent soulever aujourd’hui. Comment les nourrir ? Dans le « comment », il y a en filigrane une profession : l’agriculteur. Une profession un peu fantasmée, sans doute, qui fait le bonheur des émissions de télé-réalité où l’on déploie le fantasme du retour à la terre en contraste avec le malaise grandissant des villes, l’amour en plus, dans un pré paraît-il. Mais les envies pastorales nient une autre réalité. Agriculteur ? C’est un tiers des intéressés qui vivent avec moins de cinq cents euros par mois. Ce sont des normes européennes qui transforment le métier et obligent, parfois, aux sacrifices. Un métier rude, aux caprices des saisons, alors que ces dernières sont dénigrées par nos modes de consommation. Mais, au juste, qu’est-il allé faire dans cette galère ?

David Forge, YouTubeur agricole

Car David n’a pas eu de suite la fibre verte. Troisième génération d’une famille de la terre, il a à vingt ans des envies d’ailleurs. « J’ai fait toute mon enfance et adolescence à la ferme, je n’avais rien vu de l’extérieur. Il fallait que je parte, que je découvre le monde. » Il s’installe dans un petit appartement à Tours et se lance dans des études de commerce. Sans grande conviction. Quand il trouve un poste de comptable, c’est dans le domaine agricole, jamais loin des racines. Puis avec quelques amis il crée une boîte informatique. Ensemble ils élaborent des logiciels à destination des particuliers. Le bouche à oreille marche un temps, cela fait vivre, vivoter. En parallèle, un travail à la banque lui permet de continuer ses activités. « Je me suis vite rendu compte que s’associer à plusieurs s’avérait compliqué. J’avais plus de facilité à travailler seul. Mais j’ai beaucoup appris du privé. » C’est à cette période qu’il se dote d’un petit caméscope et les vacances sont l’occasion de s’adonner à autre passion : « J’aimais faire de petits films. J’ai commencé à comprendre internet, à coder des pages et surtout à manier l’image. »

« Puis mon père est parti à la retraite avec la question de l’exploitation en suspens. » David a mûri, grandi. Ce qui était un dilemme dix ans plus tôt résonne comme une évidence alors : « J’ai vu ce métier comme celui qui me convenait. » Dans l’entourage des amis proches, les questions fusent. Quel est son nouveau métier ? Comment sème-t-on le blé ? Quel est la saison du colza ? Le monde paysan est loin de l’imaginaire des villes, méconnu des contemporains. Un matin, David décide de partir labourer avec une caméra embraquée. Le soir, il monte les images comme il aimait le faire avec ses vidéos de vacances. Deux ans plus tard, son compte YouTube cumule plus de trois millions de cliques.

« J’ai assisté à la mode de la vulgarisation sur internet. Mais rien du côté de l’agriculture. L’homme de la terre ne se montre pas. » David, lui, se montre. Il se met en scène, parle face caméra, dit « je ». Ses vidéos en immersion sont loin d’être des objets de curiosité. Son esprit didactique et pédagogique a réussi à fédérer des abonnés professionnels et « hors milieu » qui tous reconnaissent un intérêt culturel à son projet : documenter le monde paysan. « Je veux apporter mon témoignage pour que tout citoyen se fasse une idée du métier, qu’il puisse être juge. Si j’ai un accident, il restera au moins ces vidéos de ma vocation. » YouTubeur malgré lui, ses images montrent l’agriculteur moderne au travail et casse les a priori de la profession. L’utilisation d’un drone au-dessus des champs confère aux vidéos une jolie dimension esthétique et captivante. Sa chaîne devient même un objet scolaire en soi alors que David montre avec une certaine fierté le message d’un professeur qui lui confie rediriger ses élèves vers ses montages afin d’apprendre le métier. « Il y a même le Compa, le conservatoire de l’agriculture de Chartres qui m’a demandé les droits pour diffuser des extraits lors des visites. » Désintéressé, il les cède volontiers, pour peu qu’il contribue à la mémoire du métier.

« J’ai assisté à la mode de la vulgarisation sur internet. Mais rien du côté de l’agriculture. L’homme de la terre ne se montre pas. »

« Une société a besoin de comprendre ce qu’elle mange », analyse-t-il. C’est de cette manière qu’il explique son succès. Les récents débats sur les perturbateurs endocriniens, de la nicotinoïde au glyphosate, font prendre conscience de la fragilité des circuits de consommation jusque dans nos assiettes. Le retour au circuit court, la généralisation du bio dans les mentalités appellent tout simplement un intérêt profond pour la cause agricole. Même si David rappelle que, pour les exploitants, ces restrictions sont difficiles à mettre en œuvre. « L’Etat ne pense pas forcément sur le long terme. Abandonner certains produits oblige des agriculteurs à renouveler et repenser entièrement les exploitations. Ils s’endettent et parfois ne tiennent pas le coup. » Il se souvient notamment du temps où les vaches accompagnaient sa campagne lochoise, disparues aujourd’hui avec la crise laitière.

Afin de poursuivre dans sa visée documentaire, il souhaite étendre notamment le propos de ses vidéos au travail de ses semblables, avec l’immersion pour point d’orgue. « J’aimerais aller filmer ce que font les voisins autour de moi et même au-delà des frontières. Je pense à visiter une ferme en Nouvelle Zélande pour étudier les techniques » : une idée qui lui est venue après le message d’un agriculteur égyptien qui le remerciait de lui avoir permis de découvrir ses petites astuces de labour.

Dans l’internet du LOL et le monde des YouTubeurs où le tout dérisoire et l’humour enfantin gagnent de plus en plus de terrain, « La chaîne agricole » de David Forge est une bouteille à la mer et se présente comme une belle photographie d’une partie du monde agricole. A vous de séparer le bon grain de l’ivraie.

Un degré en plus :

> La chaîne Agricole de David Forge est disponible ici

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