Dans les coulisses du 115 à Tours

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7 jours sur 7, 365 jours par an, des travailleurs sociaux se relaient au standard du 115 à Tours. « Il n’y a pas d’été ou d’hiver : toute l’année des gens sont en difficulté » nous dit un écoutant. Et malgré une hausse du nombre de places d’hébergement d’urgence, chaque soir, des dizaines de personnes ne trouvent pas de solution. Reportage pour comprendre le fonctionnement d’un dispositif essentiel mais en difficulté constante.

Un après-midi de novembre : dehors, le ciel est tout bleu mais la lumière décline déjà. L’air est frais, moins de 10°. Pourtant, la fenêtre du bureau de Thierry Gheeraert est grande ouverte. Derrière son ordinateur, une musique plutôt rock en fond sonore, le directeur de l’association Entraide et Solidarité prend le temps de nous raconter comment fonctionne l’antenne tourangelle du 115, le numéro d’urgence dédié aux sans-abris. Gratuit, il est accessible chaque jour de 15h à 7h du matin. Pendant les 7 premières heures, deux écoutants de l’association se relaient pour répondre aux appels : plus d’une centaine tous les jours, et un record à 257 coups de fil ce lundi 30 octobre. Ensuite, pendant la nuit, une astreinte est assurée, mais les sollicitations sont plus rares…

Jusqu’à 100 refus d’hébergement en une journée

Au 115, le coup de feu, c’est le milieu d’après-midi. Premier arrivé, premier servi ? Non, pas du tout. Mais les personnes en recherche d’un lit au chaud et au sec pour la nuit savent qu’il ne faut pas traîner : le recensement des demandes se fait pendant deux bonnes heures, puis les places sont attribuées en fin d’après-midi en fonction des hébergements disponibles et de la nature des demandes (femmes avec enfants, malades qui sortent de l’hôpital…). En moyenne, 70 personnes ne trouvent pas de solution chaque jour. Parfois elles sont 100. Autrement dit, le 115 est saturé. Et ce malgré l’augmentation constante du nombre de places d’hébergement d’urgence en Indre-et-Loire : 454 actuellement, 60 de plus qu’en novembre 2016, et une trentaine d’autres doivent ouvrir d’ici peu.

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« Les plus grosses journées ce sont le lundi et le jeudi » explique Thierry Gheeraert. Une raison simple à cela : ce sont les jours où les places se libèrent dans les structures d’accueil qui hébergent soit les personnes du lundi au dimanche, soit du lundi au mercredi puis du jeudi au dimanche. Bien informés, souvent habitués, les sans-abris de l’agglo tourangelle ont donc l’habitude de tenter leur chance… « Parfois il faut 35-40 minutes pour nous avoir » explique Guillaume, l’un des écoutants, en poste depuis 4 ans et demi à raison de 3-4 permanences hebdomadaires.

« Il faut vraiment insister, insister, insister… Le plus difficile pour nous est la frustration de ne pas trouver de solution. Et on le sait en arrivant. Ce n’est pas qu’on ne veut pas orienter les gens, juste que l’on n’a pas la possibilité de le faire. »

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De plus en plus de femmes avec enfants à la rue

Dans la pièce d’à côté, deux salariées attendent les coups de fil… Ils se succèdent en effet à intervalles réguliers. Les deux femmes prennent des notes, en attendant de faire la répartition. Il est à peine 17h, et il n’y a déjà plus rien pour les hommes seuls, « excepté une place que l’on garde pour quelqu’un qui sortirait de l’hôpital » note une écoutante. Si elle n’est pas prise, une personne qui appellera vers 18h aura peut-être la chance de l’obtenir…

Le problème se pose aussi pour les femmes, ou les familles. Et là, ce qui est compliqué selon les équipes du 115, c’est de faire des choix : « entre une mère avec un nourrisson et une autre avec un enfant de 8 mois… On va choisir celle avec le nourrisson. » Établir des priorités, mais aussi tenter d’aider un peu tout le monde : « on essaie d’alterner. Sur l’extrême urgence, on fait en sorte que les personnes puissent avoir un bout de quelque chose plutôt que rien du tout. » Dans certains cas, des places d’hôtel peuvent être mobilisées. Elles étaient occupées à 158% ces derniers jours, et sont notamment dédiées aux femmes victimes de violences conjugales.

Un accompagnement personnalisé avec un travailleur social

Les écoutants le reconnaissent : le métier n’est pas simple psychologiquement. « On a vu des personnes partir au bout de quelques jours » note de son côté Thierry Gheeraert qui organise des réunions deux fois par semaine avec les équipes pour échanger sur la situation. « En 4 ans et demi, j’ai vu le métier évoluer… » poursuit Guillaume : « le nombre de places a fortement augmenté mais le nombre de refus est plus important qu’avant. »

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Quand une personne appelle le 115 pour la première fois, un dossier est créé :

« les orientations ne sont pas les mêmes donc on leur demande depuis combien de temps elles sont en errance, quelle est leur situation administrative, depuis combien de temps elles sont sur le territoire, si elles ont des problèmes de santé… On cherche à savoir aussi si elles ont ponctuellement la possibilité d’être hébergées via leur réseau amical. Ensuite, dans les 48h, on leur propose un rendez-vous avec un travailleur social. C’est un dispositif unique en Centre-Val de Loire. Cela permet un temps d’échange plus important et ensuite de récolter des informations que l’on n’a pas forcément lors du premier appel. Nous sommes une porte d’entrée. »

Outre l’hébergement d’urgence, le 115 peut aussi orienter les demandeurs vers les maraude sou les structures de jour s’ils ont besoin de manger ou de prendre une douche : « on a un rôle d’orienteur et de conseil » nous dit Guillaume. Un point clair : la nationalité n’est pas un critère de choix pour donner, ou non, une place dans un lit. Cela dit, Entraide et Solidarité constate une hausse du nombre de migrants en difficulté à Tours, principalement venus du Soudan, d’Erythrée, d’ANgola ou d’Afghanistan. « Quand il y a une arrivée importante sur l’île italienne de Lampedusa, on sait qu’il y a souvent plus de monde à Tours deux mois plus tard » constate Thierry Gheeraert. Des personnes qui parviennent parfois à se faire héberger dans leur communauté ou chez des amis, mais rarement pour du long terme. Le 115 est donc leur dernier espoir. Un espoir souvent déçu… C’est d’ailleurs pour cela que des SDF à la rue depuis longtemps n’appellent plus. Ou alors seulement quand le thermomètre descend bien en dessous de 0…

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