Charlemagne, ouvrages Renaissance, manuscrit grec : les pépites littéraires de la bibliothèque de Tours

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Cet article est issu du numéro de printemps 2020 de  37° Mag, le magazine papier-connecté de 37 Degrés.


Y accéder est un privilège rare, essentiellement accordé à des équipes de recherche. La Bibliothèque Centrale de Tours nous a ouvert les portes de sa Salle du Trésor, située au sous-sol du bâtiment… en attendant son déménagement.

« Ce livre, toute une série de rois de France ont porté leur main dessus et prêté serment pour préserver les privilèges de la vie de Saint-Martin. » Régis Rech nous présente le plus vieil ouvrage conservé à la Bibliothèque Centrale de Tours : un évangéliaire en lettres d’or (et en latin) daté du IXe siècle, l’époque de Charlemagne. Louis VII, Louis XI ou Louis XIV ont posé leurs doigts et leur paume avant nous sur ses pages de parchemin. Prêté pour une exposition en 2014, sa valeur était estimée entre 3 et 7 millions d’€ pour les assurances. Le directeur de l’établissement connait son emplacement par cœur, quelque part au milieu des rayonnages de bois de cette Salle du Trésor où s’alignent plus de 2 350 ouvrages, dont un bon millier rédigé de façon manuscrite avant le développement de l’imprimerie dans le courant du XVIe siècle.

 Le saviez-vous ? Un livre imprimé avant l’an 1500 et après les travaux de Gutenberg en 1455 s’appelle un incunable. A Tours on en conserve environ 200, dont le premier à avoir été achevé sur les bords de Loire en 1485.

On découvre ensuite un exemplaire de l’édition originale du Tiers Livre de Rabelais (1546) : « Regardez son état ! Seules les reliures ont été refaites. Pas sûr que n’importe quelle édition d’aujourd’hui soit encore comme ça dans 500 ans » commente Régis Rech, paraissant aussi émerveillé que nous chaque fois qu’il feuillette les pages de ces monuments littéraires. Plusieurs d’entre eux sont émaillés de formidables et fines enluminures, attestant de plusieurs mois de travail par objet. « Deux à trois ateliers pouvaient travailler en même temps. » A cette époque – au XVe siècle – la quasi-totalité des éditions était à visée religieuse. « Chaque personne qui savait un peu lire ressentait le besoin de posséder ce type d’ouvrage. » Sur quelques-uns, on peut lire « Libris prohibitis », autrement dit un livre interdit. Par exemple les écrits des protestants, confisqués par l’Eglise catholique « qui avait besoin de les avoir pour en réfuter le contenu. »

Régis Rech

Renforcement de la protection incendie

Pour assurer une conservation optimale dans la Salle du Trésor, sa température et son humidité son contrôlés : entre 17 et 19°C, 40 à 50% de taux d’hygrométrie. « Si l’amplitude thermique est trop importante, on risque le développement de bactéries et de champignons qui peuvent fragiliser le cuir et favoriser l’apparition de moisissures. Nous faisons des contrôles réguliers, le dernier remonte à deux ans » indique l’expert qui limite au maximum les allées et venues, car on peut faire entrer des germes nocifs rien qu’avec ses chaussures : « C’est pour cela que les magasins sont compartimentés. S’il y a un problème, on évite la contamination de tout un étage. »

Depuis quelques années, des portes et un mur coupe-feu protègent enfin les ouvrages, dont certains ont déjà survécu à l’incendie de l’ex-bibliothèque de Tours pendant la Seconde guerre mondiale, en 1940 : 800 livres avaient alors pu être sauvés. 1 200 autres ont disparu. Pour éviter un nouveau drame, un Plan de sauvegarde des œuvres reste à rédiger : cela devrait être fait cette année.

Un déménagement imminent

D’ici quelques mois, la Salle du Trésor est amenée à rejoindre un autre espace du sous-sol de la Bibliothèque Centrale pour garantir des conditions de conservation encore meilleures qu’aujourd’hui. A sa place, on pourra découvrir la bibliothèque de travail du Tourangeau Yves Bonnfeoy. Léguée à la ville, elle est composée de 7 à 8 000 ouvrages.

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Une trentaine d’œuvres acquises en 2019

En plus des œuvres médiévales ou de l’époque Renaissance, la Bibliothèque municipale de Tours conserve une série d’objets littéraires plus récents ayant trait à Descartes, Balzac, Anatole France… : des éditions prestigieuses de romans ou des lettres personnelles. On trouve en prime une série d’ouvrages en grec, italien, arabe ou hébreu. La collection s’enrichit d’année en année : pour 2019, la mairie a accordé 12 000€ pour de nouvelles acquisitions, de quoi récupérer 35 livres « qui ont tous un rapport avec la Touraine, via l’auteur, l’éditeur, l’imprimeur. Mais aussi parce que le roman se passe en Touraine ou parce que le document a appartenu à une bibliothèque tourangelle » insiste Régis Rech, par ailleurs soutenu par l’Association des Amis de la Bibliothèque ou le Fonds régional de restauration et d’acquisition des bibliothèques. « Il y a encore beaucoup de lacunes après la destruction de la bibliothèque en 1940. Nous les comblons patiemment sachant que notre rôle n’est pas d’acheter des ouvrages sous les feux de l’actualité. » Bref, pas d’enchères à prix d’or.

Comment un manuscrit grec est arrivé jusqu’à Tours ? 

« Copié pour l’empereur à Byzance au Xe siècle, c’est le recueil d’historiens grecs sur le thème ‘Vices et vertus’ » explique Régis Rech. « Il a disparu en 1204 lorsque les latins ont pris Constantinople. On le retrouve au XVIIe siècle à Chypre, Nicolas-Claude Fabri de Peirsec le fait alors venir en France où il passe de main en main jusqu’en 1716 où il est vendu aux enchères et acquis par les chanoines de Marmoutier puis récupéré à la Révolution. Des histoires comme ça nous en avons pour plein de documents : un objet physique, ça bouge ! »

Et au fait, ils sont classés comment tous ces livres ?

« Pas par ordre alphabétique ou par auteur puisque nous ne les rendons pas accessibles au public. Le classement suit donc l’ordre des libraires théologiens : la thématique, l’ordre d’entrée puis un classement par numéro, cote et taille. Nous avons une table de concordance pour nous y retrouver. »

 

Pour les livres déjà en rayon, les origines divergent : certains sont entrés en collection après les confiscations post-Révolution française (à partir de 1789), d’autres proviennent de mécénat ou de donations comme celle de Monseigneur Raymond Marcel, un spécialiste de la littérature de la Renaissance. « Profondément marqué » par l’incendie de la guerre, il possédait plusieurs centaines d’ouvrages des XVe, XVIe et XVIIe siècle et il les a offerts à la ville dans les années 70.

« Historiens et chercheurs ont toujours des choses à découvrir. Chaque génération arrive avec son propre questionnement. »

Le temps où le sous-sol de la Bibliothèque Centrale était encore accessible au public est donc révolu. Ce privilège est désormais accordé à des délégations étrangères en visite à Tours (récemment en provenance d’Ukraine ou du Maroc), à des chercheurs ou des historiens, « qui travaillent sur des sujets très pointus. Ils ont toujours des choses à découvrir : chaque génération arrive avec son propre questionnement. Par exemple il y a eu des études d’ADN pour savoir quelles peaux on utilisait pour les parchemins. » Le jour de notre visite, on pouvait également voir le matériel d’un spécialiste de la numérisation de documents médiévaux dans le but d’en montrer bientôt une quarantaine au plus grand nombre, en complément des présentations mensuelles de livres extraits de la Salle du Trésor (elles ont lieu le samedi, sur inscription).

Texte : Olivier Collet – Photos : Pascal Montagne

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