Avec la maraude de la Croix-Rouge

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A l’été 2017, Emmanuel Macron a fait part de son objectif « zéro SDF » avant la fin de l’année dans les rues françaises, argument longtemps éculé des gouvernements qui se sont succédé. Le plan d’hébergement d’urgence de Tours prévoit de renforcer les tournées de la maraude du Samu social afin d’accompagner au mieux les personnes sans-abris. Récit.

Dans le local de la rue de San Francisco, on se prépare pour la nuit. La température dehors ne descend pas en dessous de zéro mais on a mis les bonnets de laine et enroulé les écharpes. L’équipe de la Maraude de la Croix Rouge s’apprête pour sa tournée journalière. Il est 19h30.

En tout, ils sont une quarantaine de bénévoles à se relayer. Mais ce soir, c’est Jean-Pierre, Marc, Houcine et Bernadette qui beurrent les sandwichs, couteau au poing. On attend un ravitaillement d’eau qui doit arriver d’une minute à l’autre et l’excursion va pouvoir commencer. Le camion est chargé. C’est parti.

Le plan d’hébergement d’urgence a débuté depuis le 1er novembre 2017 pour prendre fin au 31 mars. Ce que l’on désigne communément par l’euphémisme de « trêve hivernale ». Cette trêve, le gouvernement a fait part de sa volonté d’en renforcer les dispositifs. Les maraudes assurées par la Croix-Rouge et l’association Entraide et Solidarités sont adaptées en fonction des signalements effectués auprès du 115, de la police ou des autres structures de l’urgence sociale. Ainsi le Secours catholique, ADOMA, Émergence, Téméléia, le café associatif « barque to the future » sont de même associés afin de répondre aux situations de grande précarité des personnes sans abri.

Le dernier rapport publié par la fondation Abbé Pierre fait état de quatre millions de personnes concernées par le mal logement en France dont 143 000 privées de logement ou en abris de fortune. La toile associative et le réseau bénévole sont les clefs de l’aide apportée par la société.

« Parfois je me demande si le monde est fou ou si le monde est faux »

La camionnette arrive au premier arrêt de sa ronde aux alentours de 20 heures. La rue Nationale a tiré ses rideaux commerçants, baignée par les lumières jaunes de ses réverbères. Non loin de l’entrée de la mairie, des dizaines de personnes attendent, adossées aux vitrines des magasins. « L’arrêt de Jaurès, c’est généralement le plus fréquenté. On y distribue au moins 50% du stock de nourriture de la soirée, » explique Marc. Cet homme à la retraite embarque chaque semaine dans le camion du Samu social depuis un an et demi. Son constat est sans appel : « Il n’y a qu’à regarder la moyenne d’âge ici. Il y a de plus en plus de gamins, certains donnent l’impression de n’avoir pas plus de 14 ou 15 ans. »

Le recensement est assez succinct. C’est Bernadette qui s’en charge. Munie d’une feuille et d’un crayon, elle note un prénom et un âge afin de renseigner la Direction départementale de la cohésion sociale, (DDCS) – représentée par Géraldine Blanchet ce soir-là – et rendre compte de la population dans le besoin. « On ne fiche pas bien entendu. Et beaucoup ne donne pas leur vrai âge mais cela importe peu », confie-t-elle. « On repère les visages. Il faut être avant tout physionomiste. Quand tu repères un visage, tu t’inquiètes de ne pas le revoir la semaine suivante. » Une véritable veille sociale.

Ce soir-là, la maraude compte un invité particulier parmi les rangs des bénévoles. Jacques Lucbereilh, secrétaire général de la préfecture et sous-préfet de l’arrondissement de Tours, est venu « sur le terrain ». « L’Etat finance les opérations. Il est dans son rôle, » estime-t-il. Avec Houcine, ils sont à la distribution des sandwichs et des bouteilles d’eau. Parmi les adolescents venus chercher des vivres, certains sont issus de l’immigration. Alors, c’est plutôt Houcine, exilé algérien installé en France depuis plusieurs années, qui prend le relais pour parler arabe. Ancien journaliste en Algérie, il manie la parole aussi bien que les mots. Entre les journées chargées à la banque alimentaire et les tournées nocturnes de la maraude qui lui valent quelques cernes, il trouve le temps d’écrire sur des feuilles volantes une pièce inspirée de son expérience de terrain. « Parfois je me demande si le monde est fou ou si le monde est faux », dit-il inspiré.

« Cette camionnette, c’est un lien entre deux mondes qui ne communiquent pas. »

Dans un coin, un peu en retrait, Arnaud est venu chercher un chocolat chaud. Il ne prendra rien à manger, à l’exception d’un petit pain. Son visage ciselé par les années de vie difficile lui donne plus d’âge qu’il ne semble en avoir : « J’ai toujours vécu dans la rue. C’est une maison qui n’a pas de toit et un lieu qui n’a pas de loi. » Originaire de Belgique, un parcours jalonné d’obstacles l’a conduit dans la consommation de tous les excès. « Cette camionnette, c’est un lien entre deux mondes qui ne communiquent pas. Les personnes qui y travaillent sont dévouées. Une chaleur indispensable qui nous dit “hé ! on sait que vous existez et on ne vous oublie pas“. »

Une heure après, le camion repart. Un bref détour à l’association Emergence aux abords du Sanitas permet de refaire le plein de jambon-beurre. Avant de se rendre à Joué-lès-Tours, l’équipe fait un saut à Saint-Pierre-des-Corps pour quelques minutes. Jean-Pierre passe un bref coup de fil. Il faut approvisionner une famille et plusieurs personnes logeant dans le même appartement. Les vingt années passées dans la maraude ont construit son expérience de proximité.

La prochaine étape se trouve à la Bergeonnerie. Sur le parking désert non loin des logements universitaires, devant un vieux portail écaillé, s’amassent encore quelques personnes. « Les gens attendent patiemment dans le froid alors on essaie de ne pas être en retard, confie Marc. La première fois que j’ai fait la maraude, j’ai pris un gros coup émotionnel en constatant l’urgence sociale. Certains n’hésitent pas à attendre malgré des conditions météo déplorables. Alors tu sais que la tournée devient vitale. »

Les profils sont différents. A l’exemple d’Ali. Il connaît bien la maraude qu’il côtoie depuis longtemps. Mais pour lui, c’est la fin du calvaire. Le travail d’intérimaire l’avait jusqu’ici maintenu dans une précarité dont il doutait pouvoir sortir un jour : « Mais je viens de décrocher le jackpot ! Je signe un CDI dans une boîte à Saumur. Je n’ai qu’une hâte, me barrer et faire mon petit trou là-bas. » Aller se réchauffer avec un café auprès de la camionnette semble déjà appartenir au passé. L’équipe se réjouit.

Car le Samu social est avant tout une oreille, une écoute, dans les transitions difficiles des parcours personnels. « J’entends parfois mon entourage qui ne comprend pas ce que je fais, regrette Bernadette. Une partie de l’opinion juge que ces personnes ne veulent pas s’en sortir. Bien entendu ils ont tort. » Aide-soignante le jour, elle a tendance à voir son activité de bénévole comme son « jardin secret ». « C’est un vieux rêve que j’ai depuis toujours. Je mets de la cohésion entre mon métier de jour et mon activité la nuit. Il n’y a pas que des gens alcoolisés, il faut penser à tout le monde. Et puis, j’aime l’humain, même s’il pue. »

« Les gens à la rue ne font pas tous forcément appel au 115 »

Vers 23 heures, l’équipe revient dans le centre-ville. On inspecte la gare, le quartiers Velpeau, Nationale, Cathédrale. On longe la rue Colbert, les quais. Tout au long du chemin, plusieurs sans abris, emmitouflés dans des sacs de couchage, engourdis par le sommeil et l’humidité. Sans les réveiller, la maraude leur a glissé un sandwich et un bout de cake entre les bras. « On vérifie juste si tout va bien et on repart », raconte Houcine. « S’assurer que tout va bien » est la mission primordiale du Samu social. A n’importe quel moment, la camionnette peut être réquisitionnée pour conduire des personnes aux urgences ou accompagner des familles dans les hôtels recensés par le dispositif dont les chambres sont financées par l’Etat.

La soirée va toucher à sa fin. La ronde s’achève place de la victoire où attendent encore une vingtaine de personnes. Jacques Lucbereilh, qui a accompagné les bénévoles ne peut que « saluer l’altruisme, la générosité et la belle attitude citoyenne de l’équipe de la Croix Rouge ». La promesse « zéro SDF » d’Emmanuel Macron n’est peut-être pas pour demain tant le chantier de l’accompagnement d’urgence reste un terrain complexe aux facteurs multiples. « Les gens à la rue ne font pas tous forcément appel au 115 », rappelle Bernadette. Beaucoup, par manque de places, lassés d’essuyer les refus, ont renoncé tout simplement aux logements mis à disposition.

Minuit passé depuis déjà plusieurs minutes. Retour au local. On nettoie le camion, passe un dernier coup de balai. Tout a été distribué. Au sein de l’équipe, on se prend à rêver d’un monde où le gaspillage n’existe pas, où la surconsommation a laissé place à la redistribution. « Ce qu’il nous faut en urgence, ce sont des couvertures. On a un hiver de pluie et pas un hiver de gel. Les couvertures ne font pas long feu dans la rue », se désespère Jean-Pierre. Dehors, la bruine de janvier confirme les prédictions. Et la nuit ne fait que commencer.

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