Artistes par nature

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Retrouvez le dossier principal du troisième numéro de 37° Mag consacré à la Touraine créative…


Ils utilisent des plantes, des fleurs et des outils de jardinage. Avec ça, ils créent des compositions et des massifs remarquables. Des œuvres dédiées aux touristes ou aux promeneurs. Rencontre avec ces hommes dont l’art dépend des saisons.

« Oh que c’est beau ! » Une visiteuse vient d’entrer dans la chambre de Louise de Lorraine, au deuxième étage du Château de Chenonceau. Dehors le temps est tempétueux. Même en plein après-midi la lumière peine à imprégner cette pièce aux murs noirs, en écho au deuil de l’ancienne occupante des lieux qui pleurait son époux Henri III, assassiné en 1589. Ce qui a marqué cette touriste, ce n’est pas le lit à baldaquin, ni la cheminée ornementée. Elle a flashé sur la composition florale colorée au centre de la pièce. Un contraste saisissant, qui capte le regard et titille les narines. L’œuvre provient de l’atelier de Jean-François Boucher, 43 ans, scénographe floral meilleur ouvrier de France. Il travaille pour le château depuis 4 ans.

Issu d’une famille d’horticulteurs et de fleuristes, cet homme avenant tenait à perpétuer la tradition familiale : « j’ai toujours vécu dans l’antre du magasin de Saint-Avertin. Ma petite madeleine à moi c’est l’odeur de la terre chaude dans les serres ». Passé par la voie de l’apprentissage, il s’engage rapidement dans des concours… et ça paye : première médaille (de bronze) aux Olympiades des Métiers de 1995 puis le titre MOF en 2000.

Pendant 20 ans, Jean-François Boucher fait carrière en boutique au point d’être lassé par l’aspect commercial du métier. Ce qui l’anime, c’est l’artistique, pas les chiffres : « à Chenonceau, on ne me demande pas de m’occuper du budget. » C’est une des raisons pour lesquelles il a voulu le poste, en plus de son aspect prestigieux : « il y a des gens qui viennent du monde entier pour découvrir ce château alors, modestement, j’espère contribuer au rayonnement de l’art floral français. »

250 compositions florales par semaine

A Chenonceau, le scénographe floral et son équipe ne se contentent pas de décorer les pièces du monument. Ils composent aussi pour les séminaires d’entreprises, les mariages dans l’orangerie, les accueils de VIP… Et même des petits bouquets pour les bureaux administratifs. En moyenne, 250 créations hebdomadaires, souvent réalisées en moins d’une heure dans l’atelier placé au cœur des jardins. C’est aussi là que sont pensées les grandes compositions des fêtes de fin d’année, toujours avec un thème spécifique (en 2019 : les animaux fantastiques). « Les fleurs c’est un élément important du décor qui doit se fondre dans l’espace sans supplanter le reste » devise Jean-François Boucher se définissant comme « un raisonnable » pour ses partis-pris artistiques : « j’aime les produits simples du terroir, avec une petite touche d’exotisme. Apporter une couleur, des fruits et légumes du jardin, ou une petite graminée. Le tout en harmonie avec les pièces. L’architecture Renaissance nous guide. »

Justement, quelle place pour l’Histoire dans la composition florale ? « Je ne fais pas un travail de reconstitution » insiste Jean-François Boucher. « Il faut savoir qu’à l’époque de Catherine de Médicis, on donnait des banquets luxueux mais les éléments de décor n’étaient pas très développés. Je fais donc des clins d’œil en intégrant les agrumes ou des plantes médicinales comme le romarin. On joue aussi sur l’esprit champêtre du château, construit à la campagne. »

Du mois de juin jusqu’aux premières gelées, Chenonceau peut compter sur une production maison pour alimenter ses compositions, grâce à un hectare de jardin partagé avec les chefs du restaurant gastronomique. Le reste du temps, Jean-François Boucher se fournit au marché parisien de Rungis : « chaque matin de 6h30 à 9h nous faisons le tour du château avant l’ouverture pour voir ce qu’il faut changer et modifier. On ne prend que des fleurs de saison pour respecter les cycles et parce qu’elles tiennent mieux. Souvent des fleurs élancées, longues et pointues. Pour ma part j’aime beaucoup les hortensias ou les pivoines. Et puis il y a une part d’improvisation. Par exemple j’ai déjà utilisé un tronc de pommier tordu trouvé dans les bois. »

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Le défi de trouver des fleurs noires

Nicholas Tomlan est l’autre artiste naturel de Chenonceau, le responsable des jardins. Originaire du Delaware aux Etats-Unis, il a « toujours travaillé dehors » et commencé sa carrière dans un grand jardin de Philadelphie avant de déménager en France en 2014 pour suivre son épouse. C’est lui qui choisit les plantes pour les jardins (30 000 fleurs qui changent deux fois par an) et qui dessine les nouveaux espaces à aménager comme le jardin contemporain qui a remplacé une aire de jeu en 2018. « Chaque projet est différent, selon qu’il soit historique ou moderne » explique l’homme de 41 ans qui a dû relever le défi de débusquer des fleurs noires pour rendre hommage à Catherine de Médicis à l’occasion des 500 ans de la Renaissance. Pour y parvenir, il est en perpétuelle recherche : « le matin quand je bois mon café, je regarde des images de jardins. »

« Chaque année on essaie de diversifier un peu les jardins » raconte encore Nicholas Tomlan qui travaille « beaucoup en improvisation. » En pensant un jardin, il étudie d’abord la forme, l’architecture, le cheminement : « il faut que deux personnes puissent marcher côte à côte sinon ça coupe la conversation. Je travaille beaucoup sur les sensations. » A quelques exceptions près, les fleurs viennent après.

« Quand je bois mon café, je regarde des images de jardins. » Nicolas Tromlan, du château de Chenonceau

Toujours au bord du Cher, 40km en aval, nous voici à Villandry. « Ici le château sert à voir le jardin. C’est la première chose qu’on vient voir » annonce le chef jardinier Laurent Portuguez. Sa mission depuis 2007 : entretenir « le tableau végétal » qui s’étend sur 7,5ha + 16ha de parc avec près de 400 rosiers, 7km de buis potagers, 300 espèces de plantes dans le « Jardin du soleil », plus de 1 000 tilleuls, 30 légumes et autant de plantes aromatiques, 450 pommiers… « Quand on travaille on est directement au contact des visiteurs, ils nous disent ce qu’ils en pensent » explique ce professionnel originaire du Berry, à la tête d’une équipe d’une dizaine de personnes, auxquelles s’ajoutent apprentis et stagiaires venus du Québec, de Suisse ou de Hongrie pour apprendre le métier dans ce lieu prestigieux : « le propriétaire Mr Carvallo me dit qu’en Californie, on connaît les jardins de Versailles et de Villandry » résume Laurent Portuguez.

« Le visuel prime sur l’histoire. » Laurent Portuguez, du château de Villandry

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S’adapter au changement climatique

Le jardin étant classé, les règles sont claires : « la structure ne bouge pas. Ni la broderie des buis, ni l’emplacement des poiriers. On peut changer un rosier, mais on doit le remettre à la même place. En revanche on peut jouer sur la couleur, la hauteur, le graphisme ou les contrastes. Ce qu’on cherche c’est l’effet de masse, la mosaïculture. Depuis qu’on a accès à des images de drones, c’est pratique : on peut voir les défauts d’en haut. A partir de ces observations et de nos connaissances on sait ce qui marche ou pas. » Et dans tous les cas, « le visuel prime sur l’histoire. »

« On veut toujours avoir la perfection » lâche Laurent Portuguez depuis son bureau, à l’entrée des écuries. Au mur, de grandes planches avec les plans. Deux jardiniers s’occupent de dessiner le tableau d’une année sur l’autre, avant la validation du propriétaire. Pour les plantations, l’équipe se fournit grâce aux serres du château ou achète auprès d’horticulteurs locaux, à Montrichard ou en Vendée. « On ne cultive que des choses qu’on sait réussir et il faut que ça tienne du printemps jusqu’à Noël. Les haricots verts ça pourrait être joli mais la période de culture est trop courte. En revanche on a introduit la perilla – le basilic chinois – ou du piment de Cayenne. On teste d’abord sur une petite zone, puis on agrandit si ça prend. » Tout ça sans produits chimiques.

A Villandry, les nouveautés arrivent donc de façon progressive : « depuis une vingtaine d’années on avait de la lavande dans le ‘Jardin de la musique’ mais on va changer en trois ans car son fleurissement n’était pas assez spectaculaire. On va la remplacer par des gauras roses aux tons pastel qui fleurissent de juin à novembre » détaille Laurent Portuguez, toujours à l’affût de nouvelles idées sur les ronds-points, ou dans les jardineries. Il doit aussi faire face aux évolutions climatiques, en particulier à la sécheresse. Autrement dit intégrer des plantes méditerranéennes qui résistent mieux au manque d’eau.

photos : Claire Vinson

Un degré en plus : Et à Tours ?

Depuis 2014 la ville possède la Fleur d’or, la plus haute distinction française pour récompenser la qualité d’un fleurissement. Les massifs du Musée des Beaux-Arts et du Botanique y sont pour beaucoup. Ceux des Prébendes aussi avec pas moins d’une trentaine d’espaces fleuris à entretenir sur 4,5ha, dont une mosaïque de 37m² à l’entrée nord. Des mosaïques qui ont tendance à se raréfier. Les entretenir demande du temps : jusqu’à 10h par semaine, 5 fois plus que les autres massifs car il faut tailler au sécateur et au ciseau. Leurs dessins sont réalisés en interne, par Françoise Moreau.

Responsable jardinier du secteur Prébendes depuis 11 ans, Jérôme Fauquemberge privilégie donc les autres styles de massifs. Et ne cache pas sa fierté de voir ses réalisations en exemple dans les catalogues de professionnels. « On travaille avec deux ans d’avance pour préparer les plantations. On choisit un thème autour de certaines couleurs, par exemple jaune-violet ou orange et bleu puis on le décline dans la ville pour avoir une unité. Plus on a l’expérience, plus on arrive à tout mêler. Parfois on se loupe, et il arrive que les gens nous le fassent remarquer. Mais la plupart des critiques sont positives. »

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