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Le débrief à froid de la cérémonie du Guide Michelin organisée à Tours

De la remise des étoiles Michelin 2024 organisée depuis Tours, la France retient la formidable ascension du chef varois Fabien Ferré. A 35 ans, il entre directement dans le club des 3 étoiles dont il est désormais le plus jeune représentant. On notera aussi l’arrivée d’un 7e restaurant étoilé tourangeau : L’Auberge du XIIe Siècle de Saché, qui récupère cette distinction après l’arrivée d’un nouveau chef en 2020 (Kevin Gardien). Enfin, la Touraine peut se féliciter d’une seconde récompense avec l’étoile verte attribuée au restaurant Les Jardiniers de Ligré qui promet une cuisine très respectueuse de l’environnement. On a aussi retenu 2-3 autres choses. On vous raconte.

D’abord, ce qui frappe, c’est le manque de parité du palmarès Michelin. Rien qu’en Touraine, il distingue 8 hommes et aucune femme. Aucune cheffe parmi les nouveaux restaurants recevant 2 étoiles. Une seule cheffe parmi les 3 étoiles (Anne-Sophie Pic).

Les organisateurs ont bien tenté de masquer un peu la situation en remettant plusieurs prix annexes à des femmes, comme le Prix du Service pour Sandrine Deley de L’Auberge de Montmin (un 2 étoiles des Alpes) ou le Prix de la sommellerie à Magali Delalex, cheffe sommelière de La Table de l’Ours (restaurant 1 étoile de Val d’Isère). Cependant, ces récompenses sont partagées avec des hommes. Et même si elles ont été remises par des femmes, offrant par exemple une belle visibilité à la vigneronne ligérienne Noëlla Morantin, cela ne suffit pas à masquer le delta global.

Certes, ce n’est pas directement la faute du Michelin. Malgré une présence grandissante dans les cuisines, les femmes sont encore largement minoritaires à la tête des établissements. Ou partagent l’affiche. C’est aussi le cas en Indre-et-Loire, même si des talents sortent la tête du lot comme Marie Paulay (La Petite Cuisine à Tours). La question est de savoir comment une institution comme le guide rouge peut accompagner/encourager l’essor des talents féminins ? On notera par exemple qu’après des années sans parité, l’émission Top Chef d’M6 vient de lancer sa dernière saison avec un nombre égal de candidates et de candidats. Il y a donc des choses à imaginer.

S’il reste des progrès à faire, il est incontestable que le Michelin bouge et fait en sorte de s’allier avec son temps. C’est le signal envoyé par les étoiles vertes récompensant la gastronomie durable, ou avec la primeur à de jeunes cuisiniers et cuisinières : 52 établissements ont obtenu une première étoile en 2024, plus de la moitié des lauréates et lauréats ont moins de 40 ans.

C’est aussi un guide qui sait que son palmarès ne lui sert plus vraiment à vendre des exemplaires papier (car l’essentiel est disponible sur Internet en accès libre) mais que sa subsistance et son aura entretiennent tout un système économique (d’où le fait qu’il y a sûrement pléthore de candidatures pour faire venir la cérémonie chez soi, même si cela nécessite un fort investissement en argent public – 500 000€ pour l’épisode 2024).

Ce qu’on constate d’ailleurs, c’est que le fameux guide rouge a tendance à s’épaissir d’année en année. 52 nouvelles étoiles c’est à peu près deux fois plus que les rétrogradations. Et au total, 3 000 tables sont consacrées dans l’ouvrage. Le Michelin n’ignore pas son impact économique : +30 voire +40% de fréquentation/de chiffre d’affaire grâce à une étoile, et une baisse notoire quand elles s’en vont (ce qui entraîne souvent des critiques sur le palmarès, et derrière sur l’opacité des décisions).

Le Michelin ne fait pas complètement le beau ou le mauvais temps sur le milieu de la restauration mais il y contribue largement. « Ça reste le graal. Il y a peu de médias qui ont autant d’impact. Avoir une étoile ça booste la fréquentation ou amène une clientèle plus internationale, cela permet de diversifier son menu, faire évoluer ses prix… » confirme Philibert Chambre qui anime le podcast Business of Bouffe qui a produit un remarquable épisode de 2h sur le sujet.

Challengé par des guides aux critères novateurs comme Le Fooding, ou des concurrents prestigieux comme l’historique Gault et Millau, la maison Michelin doit néanmoins faire face à la vague des réseaux sociaux où les créateurs et créatrices de contenus pullulent pour recommander de bonnes adresses, et pas du tout que de la street food. Une bonne publication sur un compte influent peut aujourd’hui largement faire la réputation d’un établissement. Le compte Instagram @michelinguide compte 3 millions de followers (c’est énorme) mais certains influenceurs invités à Tours en ont à eux seuls plusieurs centaines de milliers, avec parfois les connaissances nécessaires pour juger de la qualité d’un endroit, ou en tout cas les codes pour en parler.

A en juger par la frénésie locale et nationale autour du palmarès annuel, et la floppée de partenaires prestigieux de la cérémonie (la grande maison de champagnes Heidsieck, les chocolats Valrhona ou la maison de caviar Bellor… qui conditionne d’ailleurs ses produits à Avrillé-les-Ponceaux en Touraine), le Michelin n’a pas à s’inquiéter pour sa notoriété mais il se doit de vivre dans son écosystème, ne pas être en autarcie.

Ainsi, même si son directeur s’en défend, le Michelin ne juge plus vraiment que la cuisine à proprement parler. Le service, l’ambiance, comptent aussi beaucoup (la preuve avec un prix dédié). « Aujourd’hui les consommateurs dont je fais partie ont un avis plus global. Et si officiellement le Michelin n’en tient pas compte je suis critique sur le sujet car forcément on est influencé par le lieu, le service. Il n’y a qu’à voir les efforts que font les chefs pour que le lieu soit en adéquation avec l’assiette » commente Philibert Chambre.

Ce qu’on sait, c’est que le passage de Michelin à Tours restera dans les mémoires locales et nationales. On a entendu plusieurs personnes habituées du genre souligner que c’était une des plus belles cérémonies des dernières années, si ce n’est plus. Le dîner prestigieux au château de Chambord ou l’immense buffet de fin de soirée y ayant contribué (avec des pointures locales comme le chef étoilé lochois Clément Dumont d’Arbore et Sens ou le fromager Meilleur Ouvrier de France Rodolphe Le Meunier). C’est bon pour l’égo local. Charge aux suivants de relever le défi en 2025 : il se murmure que ce pourrait être dans le Sud-Est. Et peut-être que la Touraine y brillera encore ?

Un degré en plus :

On notera que même si le fameux bibendum Michelin était présent à Tours pour la cérémonie, et que la Touraine a largement été évoquée sur scène, dans les discours et dans l’assiette, il n’a pas été fait mention de l’usine jocondienne de Michelin qui emploie toujours plusieurs centaines de personnes.

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