Le temps d’un 16 mesures #4 – Un projet local et militant «pour dire que ça ne sert pas à rien »

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« Le temps d’un 16 mesures » c’est une nouvelle chronique régulière sur 37° sur la thématique du hip-hop, en partenariat avec « hip-hop is not dead », une chronique réalisée par Loann pour l’émission de Radio Campus Tours 99.5 FM intitulée Wabam Cocktail.

Engagé depuis presque vingt ans dans le rap, le Kyma (composé de Cesko et Fysh) est toujours aussi actif. Après avoir sorti six albums, plusieurs maxis et mixtapes, créé leur label « Vatsa », ils ont rassemblé sur une même piste vingt-sept MCs autour d’une même question « En quoi ma musique ne sert-elle pas à rien ? ». Ce projet musical a la saveur des années 90, mais ça se passe bien en 2016. Son clip vient tout juste d’être présenté à Vendôme où le groupe était programmé par l’association Figure Libres aux côtés de la Scred Connexion et Détroit Afrikan Funkestra. L’occasion pour nous de rencontrer Cesko (MC et compositeur du groupe) et Julien Gauthier (réalisateur du clip) afin qu’ils nous en disent un peu plus.

Clairement ce projet n’a pas les codes du rap français actuel. Il est composé d’une musique de plus de 16 minutes, rassemblant plusieurs MCs. Vous auriez pu faire plusieurs pistes, pourquoi choisir ce type de production ?

Cesko : Parce que c’est un petit clin d’oeil à « 11’30 contre les lois racistes » qui nous a bien bercé quand on était plus jeunes. C’était faire un grand morceau fleuve et puis raccorder tout les MCs les uns après les autres, je trouvais cela musicalement plus hip-hop que de faire plusieurs pistes en fait.

Ce clin d’oeil à « 11’30 contre les lois racistes » est visible sur la forme et même jusqu’au visuel de la pochette . Qu’est ce que ce projet a symbolisé pour toi à sa sortie ?

Cesko : Cela symbolisait une belle carte de visite rassemblant un panel de MCs de l’époque que j’écoutais à mort. Et c’était une fois de plus un projet qui s’inscrivait dans la société, dans le réel, dans le concret. Un projet engagé. C’est ce genre de projet qui m’a mis à la politique.

On peut y voir un clin d’œil également à ce que l’on appelle l’âge d’or du hip-hop. C’est un héritage pour toi ?

Cesko : L’âge d’or je ne sais pas car depuis deux trois ans, je fais des ateliers d’écritures avec des gamins où il y a toujours un rappel de l’histoire du hip-hop. C’est une histoire qui a plus de quarante ans maintenant et Africaa Bombata (NDLR un des créateurs du mouvement hip-hop) disait déjà en 1981 « Le hip-hop est mort ». Donc l’âge d’or, je ne sais pas trop mais c’était surtout faire le rap que l’on aime. Faire du rap à l’ancienne. Moi je suis pas trap du tout mais c’est des questions de goût. C’est un peu comme dans le rock ou dans tous les styles finalement… Moi j’ai plutôt grandi avec beat, basse et plutôt une ligne de piano ou un violon.

°IMG_0941Cesko (c) 37°

En parlant de MCs, qui sont les personnes qui t’accompagnent sur ce morceau ? Comment les avez vous choisis ?

Cesko : La liste je vais pas la faire [rire]. Elle s’est faite au fur et à mesure au cours des années en fait. Avec le Kyma, on a pas mal tourné. En France on a rencontré pas mal de MCs. Certains nous ont parlé musicalement, d’autres on en avait rien à faire. Avec Fysh, le dj du Kyma, c’était un projet qu’on avait en tête depuis longtemps. On a fait une liste mais il en reste plein d’autres en fait. C’est une mini partie de la scène rap indé. Et puis, il y a toujours un peu l’idée qu’on n’est pas à l’abri de refaire un autre concept avec d’autres MCs…

Pas simple de rassembler 27 MCs. Comment cela s’est passé, y avait-il des consignes pour le texte, un ordre de passage ?

Cesko : On avait envoyé un mail type à tous les MCs avec les consignes. L’idée un peu philosophique c’était déjà le thème, en détaillant un petit peu afin que les MCs ne soient pas hors sujet. Il fallait expliquer « en quoi ta musique ne servait pas à rien ». Il y avait aussi une partie plus technique par rapport à l’enregistrement. J’aurais aimé pouvoir aller enregistrer tous les MCs avec mon micro histoire d’avoir un rendu un peu plus homogène mais c’était techniquement impossible. Sur l’ordre de passage, c’est un choix assez artistique. On a essayé de faire varier les flows.

«  Que ça plaise ou non, la musique la plus engagée en France c’est le rap. Point barre. »

IMG_0938(c) 37°

Le titre du projet est scandé régulièrement et chacun pose son flow sur 12 mesures autour de cette question : en quoi ta musique ne sert-elle pas à rien. C’est un message face au climat hip-hop actuel, parti vers une autre voie, en tout cas en ce qui concerne celui qui est commercialisé à grande échelle ?

Cesko : Avec le Kyma, on a toujours aimé faire réfléchir la scène hip-hop en France, mais c’était surtout destiné à la culture en générale. C’est à dire, à mon avis, que même le rap le plus médiocre reste quand même à un niveau d’engagement supérieur au groupe pop le plus engagé de France. Donc du coup, c’était surtout pour rappeler à la Culture qu’il y avait un mouvement en France qui s’appelait le rap français avec des MCs qui estiment, et qui ont raison de le dire, que leur musique, elle, ne sert pas à rien. C’était surtout ça l’idée. C’était surtout pas pour la scène hip-hop. La scène hip-hop, j’ai pas tant de griefs contre elle. Elle évolue. Par contre, on en a contre la culture en générale. C’était rappeler aux institutionnels, aux programmateurs, à tous ces gens là, que ça leur plaise ou non, la musique la plus engagée en France c’est le rap. Point barre.

Ce morceau a été « clippé » par Julien. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Julien : Il y a une dizaine d’années, j’étais journaliste à TV Tours et je les ai contactés pour faire un sujet sur eux.

Cesko : Quand on l’a rencontré, c’était au festival Cosmopolite. Il nous dit « Je suis de TV Tours ». Nous il y a dix ans on était vraiment en mode branleurs, on s’est dit « on va lui réserver un accueil au type ». Et puis en fait au tout début il nous a parlé de Casey. Cela a posé un truc. On était des connards mais quand tu sens que le mec connaît des artistes comme Casey, cela montre qu’il s’y connaît un peu dans le rap. Cela forge le respect, on va dire.

Pourquoi « clipper » ce projet qui n’est pas simple dans la forme ?

Julien : Hé bien justement parce qu’il n’est pas simple dans sa forme et que c’était l’occasion de faire un objet visuel inconnu jusqu’à présent. En fait 16 minutes c’est « inclippable »… Ce que j’ai sorti, en soi ce n’est pas un clip, c’est un projet visuel. C’est très « bâtard » avec une grammaire particulière. Franchement je ne sais pas quel sera l’accueil du projet.

Justement, comment le clip a été réfléchi ?

Julien : Début juillet j’ai contacté Cesko en lui disant que le projet m’intéressait que je voulais le clipper. Lui partant en Inde quelques jours après, m’a donné carte blanche. A ce moment-là je n’avais pas d’idées sur ce que j’allais faire. Je me suis très vite dit qu’il fallait oublier le clip de rap classique où l’on voyait les mecs lancer leur flow face caméra. De toute façon c’était impossible vu qu’ils étaient de partout en France… J’ai donc choisi de mettre que des gueules de lambda et je me suis fixé un objectif de 100.

« Mais t’as pas assez de raisons pour avoir la rage et l’exprimer cette rage ? »

IMG_0933Julien Gauthier (c) 37°

La mission est déjà difficile avec la longueur du morceau et en plus tu t’imposes la contrainte de le faire qu’avec des « portraits »  ?

Julien : Je me suis d’abord fixé cette idée de faire des portraits de gens lambda face caméra. Ensuite, je me suis fixé une grammaire assez simple en me disant que pour chaque « gueule » je ferai des plans similaires, environ trois grosso-modo. Je proposais aussi à chacun de gueuler. C’est étonnant mais beaucoup étaient coincés et me disaient qu’ils n’avaient jamais vraiment gueulé. Je leur demandais : « Mais t’as pas assez de raisons pour avoir la rage et l’exprimer cette rage ? » et ceux qui l’ont fait m’ont dit que cela faisait du bien.

Et vu qu’il fallait que des lambdas, je me suis dit qu’il ne fallait pas que je les connaisse, que ce soit au maximum des rencontres. J’ai lancé une « bouteille » sur Facebook dans l’idée que mon réseau partage l’idée et qu’ensuite les gens reviennent vers moi. L’idée était que chaque personne qui voit ce message puisse se dire : « moi aussi j’ai envie de participer pour dire que ça ne sert pas à rien ». Il n’y a pas eu de casting.

Cesko : Quand on disait : « c’est du lien », bah voilà c’est ça aussi. Il a repris le bébé et l’a proposé à d’autres. C’est ça qui est aussi intéressant sur ce genre de projets.

En plus de laisser les gens venir à toi, tu leur laissais choisir le lieu. Pourquoi ?

Julien : Car c’était plus fun ! Et puis ce n’est pas toujours facile de montrer sa gueule à une caméra, de montrer son image. Alors si le lieu parle et réconforte, que c’est un lieu où tu sens que ta présence signifie quelque chose, c’est peut être plus facile.

Si on veut se procurer le projet en physique, comment peut-on faire ?

Cesko : Il faut nous envoyer un mail à [email protected] Il est disponible aussi au Shanti Shanti (107 rue Colbert à Tours)

Un degré de plus :

> Le Facebook du Kyma

> Le site du réalisateur : http://juliengauthier.fr/

> Retrouvez également l’émission d’une heure du Wabam Cocktail consacré au projet :

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