Grand Format : Un an après, que deviennent les « Michelin » ?

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A l’automne 2013, les salariés de l’usine Michelin de Joué-lès-Tours faisaient la une de l’actualité régionale. En plein plan social, ils s’étaient mobilisés pendant plusieurs semaines, entre grèves, manifestations et réunions pour obtenir un accord avec l’entreprise encadrant la suppression des 700 postes de l’usine jocondienne. Un an après, nous sommes retournés voir les salariés et les désormais ex-salariés.

Quand on se rend à Michelin un matin, les abords de l’usine jocondienne sont calmes, les voitures sont clairsemées sur le parking, signe du départ d’une grande partie des employés non conservés dans l’effectif. Un vide symbolique, parfois difficile à regarder pour ceux qui restent. Au sein de l’usine de Joué-lès-Tours, les premiers départs ont eu lieu en avril dernier, suivis d’une deuxième vague quelques semaines plus tard. Aujourd’hui ils sont encore 500 environ sur le site, un chiffre qui sera abaissé à 200 une fois partis les salariés concernés par les mesures d’âge de départ à la retraite.

Jérôme Bourgeon et Pascal Levêque, tous deux délégués syndicaux à Sud Michelin, témoignent : « Cela fait bizarre, surtout dans l’atelier poids lourds où il n’y a plus grand monde ». L’atelier poids lourds condamné à la fermeture tourne encore aujourd’hui, officiellement jusqu’à la fin de l’année, « mais ils parlent de prolonger son maintien pour quelques mois supplémentaires » raconte P. Levêque, « parce qu’ils ont besoin de production » précise-t-il. Les deux délégués syndicaux sont toujours en colère, même si celle-ci s’exprime plus calmement. Une colère entretenue par le fait que le pneu X-One, officiellement un échec causant la fermeture du poids lourds à Joué-lès-Tours, va finalement de nouveau être produit sur Clermont-Ferrand. En effet, les machines jocondiennes qui produisent ce pneu doivent partir et être remontées dans les usines auvergnates du manufacturier. « Au Canada, ils n’arrivent pas à répondre à la demande de production, du coup on va en continuer à en produire en Europe » racontent-ils avec une pointe d’amertume.

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Vu comme le symbole de l’échec de l’entreprise à Joué-lès-Tours, le prototype du pneu X-One qui trônait à l’entrée de l’usine avait été brulé par les salariés l’an passé. Ce pneu qui devait permettre à l’usine jocondienne d’envisager l’avenir sereinement a précipité sa perte. Son échec commercial en Europe a poussé la direction à fermer l’atelier Poids Lourds de Joué-lès-Tours, qui avait été spécialisé dans la production du X-One quelques années auparavant.

 

« Il y a un ressort qui s’est cassé »

Cette amertume, on la retrouve auprès des ouvriers de l’usine. Certains souhaitant tourner la page de cet épisode douloureux ont refusé de nous répondre, tandis que d’autres ont accepté mais en demandant l’anonymat. Pierre* est de ceux-là. Cet ouvrier a accepté de rester à l’usine afin de préserver sa famille, un peu à contre-cœur. « On ne savait plus quoi faire, partir ou rester. L’envie était de partir et de tout envoyer balader, mais j’ai une famille à m’occuper alors je suis resté mais l’envie n’est plus là, il y a un ressort qui s’est cassé ». Ce discours, nous l’avons entendu à plusieurs reprises et beaucoup reconnaissent ne plus croire au maintien de l’usine à long terme. « On n’est pas confiant en l’avenir car il n’y a rien de fait de concret pour que l’usine soit pérenne. Par exemple on n’a pas assez de personnel à l’atelier OCA pour maintenir la production, du coup elle part sur d’autres sites » nous raconte Jérôme Bourgeon, qui précise également : « Pendant les négociations on nous a martelé que l’avenir était aux gros sites et ils ont réduit l’usine à deux ateliers, ce n’est pas encourageant ».

 

« Je n’aurais pas pu rester à l’usine de Joué-lès-Tours »

A l’usine de Joué-lès-Tours, la page douloureuse de ce plan social n’est pas encore tournée. Un traumatisme qui a conduit beaucoup de salariés à refuser l’offre de rester dans l’usine. « Le choix des 166 ouvriers restants a pris beaucoup de temps », nous explique-t-on, « parce que parmi les premiers choix de la direction, certains ne souhaitaient plus rester, du coup la direction a dû aller chercher plus bas dans sa liste, en rappelant des ouvriers qu’elle avait refusé dans un premier temps ». De tout cela, il en résulte un malaise et un mal-être à l’usine à écouter ceux qui restent. Un mal-être ressenti également par les syndicats : « la direction a voulu aller vite dans la gestion du plan social, mais elle en a oublié la gestion personnelle ». Pour tous, il faudra du temps avant que la cicatrice ne se referme, mais tous sont conscients également de la nécessité d’avancer pour tourner la page.

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Pour beaucoup de salariés, il est devenu compliqué de remettre le bleu de travail comme si rien ne s’était passé.

Tourner la page, c’est ce qui a poussé Léo* à demander la mobilité interne. Aujourd’hui en poste dans un nouveau site de Michelin, il raconte que c’était une nécessité psychologique, « Je n’aurai pas pu rester à l’usine de Joué-lès-Tours, y retourner tous les jours comme si rien ne s’était passé et sans certitude sur l’avenir de l’usine ». Pour Léo, le changement s’est bien passé, il nous dit avoir été bien accueilli par ses nouveaux collègues et être bien avec sa femme et son enfant dans sa nouvelle région. « Même si je suis toujours chez Michelin, on a l’impression de repartir à zéro, de redémarrer une nouvelle vie. Et puis ma femme ne trouvait pas de travail en Touraine, c’était l’occasion de partir ». De l’avis des délégués du syndicat Sud, la mobilité interne est la partie des 700 départs qui s’est le mieux déroulée. « Il y a eu quelques soucis pour lesquels il a fallu rappeler à l’entreprise l’accord signé, mais dans l’ensemble cela s’est bien passé ». La grande majorité de ceux qui avaient choisi la mutation est aujourd’hui partie. Sur les 163 salariés concernés, seuls quelques-uns sont toujours en attente.

 

Les couacs des Ateliers de Transition Professionnelle

En revanche les deux délégués sont moins élogieux en ce qui concerne les salariés concernés par la mobilité externe. P.Bourgeon pointe notamment le fait que Michelin ne laisse pas partir les salariés quand ils le veulent : « Certains ont retrouvé une formation ou un boulot, mais ils ne savent pas quand ils vont pouvoir partir de Michelin ». En cause, les temps de formation sur les ateliers restants qui demandent 6 mois à 1 an, et donc la difficulté pour l’entreprise de laisser partir les salariés déjà formés.

Autre souci pointé à la fois par les délégués et les ex-salariés y participant : Les Ateliers de Transition Professionnelle (ATP). « Sur le papier c’était une superbe idée » nous précise-t-on, « mais dans la réalité, les gars sont déçus. On ne les aide pas à trouver un travail, mais on leur fait faire des modules comme des ateliers cirque, du sport, de la sophrologie. Ils ne comprennent pas ce qu’ils font là et ils ont l’impression de perdre leur temps ». Pour dire vrai, il y a bien des formations comme des ateliers boulangerie, chaudronnerie, bâtiment ou plomberie par exemple, mais beaucoup trouvent ceci insuffisant. L’un des salariés inscrit aux ATP nous raconte : « Quand je suis arrivé aux ATP j’avais un dossier avec des formations possibles que j’avais recherchées en amont, mais ils m’ont dit qu’on allait tout reprendre depuis le départ : j’ai perdu trois mois ». Sur les 167 salariés, selon nos informations, une quarantaine aurait aujourd’hui retrouvé un travail, que ce soit en formation, en CDD ou en CDI. Parmi ces derniers, seule une dizaine par le biais des ATP, les autres l’ayant trouvé par leur propre biais.

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Les ATP se déroulent au sein de l’ancienne usine Mame encore en travaux. Des conditions loin d’être optimales pour les salariés. Plus important encore, les ATP sont un échec selon les délégués syndicaux, notamment du fait qu’au lieu des 4 vagues de départ prévues, Michelin s’est contenté de deux départs massifs. Les ATP n’ont pas pu absorbé tout ce monde, selon Olivier, ancien secrétaire du CE et lui même inscrit aux ATP.

Un an après, pour les Bibs et anciens Bibs, comme on les appelle, l’épreuve du plan social n’est pas encore derrière eux. Malgré tout chacun essaie de sortir la tête haute de cette épreuve en continuant d’avancer afin de reconstruire leur vie, petit à petit.

* Les prénoms marqués d’une * ont été changés.

Crédits photos : Mathieu Giua pour 37°

A lire également notre article consacré à Olivier, l’ancien porte-parole des salariés.

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